" Les lieux de là ", avec la nécessité de l'émotion et de l'humanisme comme arme première Les lieux de là est une pièce de combat. La chorégraphe y fait entendre la vision qu'elle se fait d'une communauté autre. Communauté où la communication est certes difficile ; mais n'est pas pour autant impossible à conquérir. Toujours à reprendre, et jamais gagnée. Par voie de conséquence, les préoccupations anciennes sont prises dans le maelström de ce message à portée plus que politique : esthétique et sociale. Ainsi, l'autisme n'y est-il plus, comme dans une pièce précédente de la chorégraphe, un motif d'expérimentation, mais une réalité qui guette l'individu pour l'enfermer dans le repli sur soi. Ainsi l'Afrique, dont les deux danseurs burkinabés affirment la présence, n'est elle plus, comme précédemment dans d'autres pièces, un exotisme propre à remettre en cause les conventions formelles occidentales, mais une réalité de terrain. On y découvre du classicisme et même de l'expressionnisme, pour aller dans le sens de la vérité humaine - sa liberté. Le combat, baignant l'atmosphère de la pièce, est loyal - exécuté pieds nus, qui peuvent marteler le sol, corps à corps vêtus de noir. Les règles sont justes, avec la nécessité de l'émotion et de l'humanisme comme arme première ; l'arbitrage relevant du degré d'implication personnelle - important - des danseurs. La composition est hardie, semble s'être réglée sur les lois du hasard. Cela fait surgir l'expression là où on le l'attend pas. Cela crée un cadre de pensée susceptible de laisser éclore des arrangements en duos ou solos, voire en figures de groupe, dans lesquelles l'alliance se cherche, se trouve et s'exprime ; climat d'ardeur et de tension extrême. Les lieux de là apparaît ainsi comme la première vraie pièce " montpelliéraine ", de Mathilde Monnier - celle où après cinq ans à la tête du Centre chorégraphique, elle dessine avec le plus de netteté la teneur exigeante et émotionnelle de ce qu'elle a à dire. La scénographie d'Annie Tolleter - une des plus minimalistes qu'elle est conçues - ouvre l'espace en une aire d'affrontement - un mur symbolique, côté jardin, un alignement de cartons, côté cour. Entre les deux, un sol noir, luisant - surface de réfléchissement qui dédouble les figures dansées, leur accorde une dimension poétique, suggère que l'imaginaire est livré à l'utopie. La musique de Heiner Goebbels - partition à la fois rageuse, rock, posant le rythme avec rigueur, cultivé d'art populaire, voire tzigane, ou de romantisme noir - inscrit le sentiment dans son axe, et justifie l'éclat des images inoubliables qui resteront de ce spectacle, comme le signe d'une nouvelle alliance.

Lise OTT
Midi Libre
29 Juin 1998