Corps d’histoire
 
La réactivation de duos créés il y a presque 30 ans par Mathilde Monnier et Jean-François Duroure, Pudique acide et Extasis, n’épuise pas l’urgence de la beauté d’une danse anticipant son temps. La marque d’un classique ?
 
Beaux, insoumis, épris de liberté, impertinents, survitaminés. Le désir n’est pas raisonnable, et c’est tant mieux. L’aventure newyorkaise n’attend pas, ils ont vingt ans, s’y plongent à corps perdu, à cœur ouvert.
Emportés par l’allant des années 80, boostés par l’émergeant élan chorégraphique d’alors, Mathilde Monnier et Jean-François Duroure traversent l’atlantique, vont à la source, se former auprès de Merce Cunningham après avoir été innitiés à Angers, par la disciple Viola Farber.
 Elle n’est pas encore devenue la chorégraphe qui va occuper une place de référence dans le paysage de la danse contemporaine française et internationale.
Lui n’a pas encore été engagé par Pina Bausch au Tanzteater de Wurppertal (à seulement 19 ans). Il entame alors, sans vraiment le savoir, une exploration de tous les champs de la création chorégraphique, qui fondera un enseignement personnel marqué par l’héritage de Rudolf Laban. Devenu chorégraphe responsable des études chorégraphiques au conservatoire, à la cité de la musique et de la danse de Strasbourg, il y prône depuis dix ans une danse qui s’autoanalyse et une création individuelle comme expression de l’intériorité humaine.
Retour aux années 80. « La danse c’est l’art de la transmission », définit Jean-François Duroure. Pudique acide/Extasis le propulse avec Mathilde Monnier sur l’orbite chorégraphique.
Miroir de leur personnalité, de leur virtuosité, les solis ne parlent que d’eux tout en transfigurant leurs histoires individuelles. D’influence cunninghamienne, la gestuelle de Pudique acide exige une maîtrise thechnique. A la virtuosité, s’ajoute l’arrogance d’une jeunesse qui enfreint les genres comme les codes. Imperméables sur froufrous blancs, kilts écossais, les costumes à la Jean-Paul Gaultier accentuent la confusion des genres. D’un lyrisme débridé sur fond de musique de Kurt Weill, l’androgynie sautillante et l’arrogance tiennent à distance le public, exclu de la relation d’un couple en (ex)tensions.
Extasisen est l’exact envers. La danse s’y théâtralise en cabaret, on s’y effeuille délicatement tout en accueillant le public.
Après 27 ans, Sonia Darbois et Jonathan Pranlas reforment dans leur vérité un couple génial, qui régénère les partitions. Réactive cette période charnière de l’histoire de la danse, celle de l’émergence de la danse française des années 80.
Au conservatoire de Strasbourg, la pédagogie que développe Jean-François Duroure réactualise l’enseignement de Laban sans se soucier des catégories qui peuvent prévaloir dans d’autres institutions. L’analyse des langages du corps détermine une approche ou chacun est dépositaire de sa propre danse – le miroir de l’âme, selon Laban. Il y a autant de danseurs que danses. Et si Pudique acide/Extasis continuent de nous toucher aujourd’hui, c’est, dit-il, parce que ces soli portent une part d’humanité qui à l’époque nous avait échappée.
 
Veneranda PALADINO
Dernières nouvelles d'alsace - 19/11/2011