Une démarche d'une formidable liberté Il paraît que l'institution assagit, voire assoupit. Mathilde Monnier prouve qu'il n'en est rien. Depuis son "implantation" à la tête du Centre chorégraphique de Montpellier, reprenant le flambeau de Dominique Bagouet dans un extraordinaire lieu de travail (Les Ursulines, un ancien couvent de 3 000 mètres carrés), la chorégraphe a lâché la bride et s'est engagée dans une démarche d'une formidable liberté. Elle a ancré son désir d'ouverture : ateliers d'écriture, espace d'expérimentations, approche sensible de certains univers de l'enfermement et de la souffrance qui ne dissimule aucune mièvrerie compassionnelle mais vise à saisir certains ressorts difficiles de la "fabrication d'humain", à partir desquels la danse pourrait intervenir. En témoigne un film récent, " Bruit blanc ", qui restitue la complicité née entre Mathilde Monnier et une jeune femme autiste. Ce travail sur l'autisme a d'abord produit "l'Atelier en pièces", proposition chorégraphique et visuelle en tous points remarquable, singulier uppercut porté au confort du spectateur, où la danse "éclate en pièce brutes, comme on dit de l'or avant de le tailler" (Chantal Aubry). Et elle a prolongé cette interrogation sur l'enfermement avec un texte de Christine Angot dans " Arrêtez, arrêtons, arrête ", une pièce écorchée. " les Lieux de là ", un voyage polyphonique à travers des lieux utopiques Après avoir ébranlé quelques cloisons (mentales, culturelles et sociales), il s'agit maintenant d'inventer des "contre espaces". C'est le projet qu'a entrepris Mathilde Monnier, sous le titre " les Lieux de là ", où une certaine idée de déplacement, de hors champ, guide l'idée d'un "voyage polyphonique à travers des lieux utopiques". Ce 'journal chorégraphique" associe une dizaine de talentueux interprètes dans une forme évolutive, qui se développera jusqu'à l'automne prochain. Réunir des affinités, agglomérer des singularités pour déjouer le ressassement des signes " Les Non-lieux ", le premier volet de ce projet, créé lors du dernier Festival Montpellier Danse (et qui sera complété, au Théâtre de la Ville, d'une deuxième partie, " Dans les plis "), dessine les contours d'un "corps commun", tel que l'entend Mathilde Monnier : non pas une forme compacte, uniforme, mais un "espace commun" forgé sur l'idée du chour, où des trajectoires lancées à leur propre poursuite se rassemblent en de nouvelles formes moléculaires. Contrairement à ce que les années 80 ont pu valoriser comme "danse d'auteur", Mathilde Monnier n'a jamais cherché à polariser autour de son seul nom la marque de fabrique d'une écriture. Elle s'est bien davantage préoccupée de réunir des affinités, d'agglomérer des singularités pour déjouer le ressassement des signes et la quadrature des formats chorégraphiques. Avec beaucoup d'humour, le dénominateur commun d'un espace où le collectif est lieu d'appui sur le singulier "Comment penser une communauté aujourd'hui ?", se demande Mathilde Monnier en filigrane des " Lieux de là ". La "pièce" fonctionne alors comme nécessaire auto-analyse de la danse contemporaine. Ce qui pourrait être terriblement rébarbatif ne l'est pas plus qu'un documentaire animalier ou sociologique. L'espace du plateau qui absorbe les danseurs en énergies tendues et en éclosions décisives est un passionnant microcosme peuplé de vérités singulières, d'appels au regard, de corps en nécessité de mouvement. Pas d'ostentation. Les cartons empilés de chaque côté de la scène (scénographie d'Annie Tolleter), et où viennent comiquement s'encastrer bien des trajectoires, sont la bordure drastiquement réelle d'un espace où l'illusion ne viendra pas au secours de la séduction (impression renforcée par les lumières crues d'Eric Wurtz). Foin des lointaines utopies... La "communauté" est ici, de façon naïvement pragmatique, ce qui réunit la petite masse des danseurs en des moments grégaires de soutien, d'appui, de mêlée. Ce sont des gestes de refuge, des liens de soudure mobile, des jeux de chaîne, qui manifestent le plus simplement du monde, et avec beaucoup d'humour, le dénominateur commun d'un espace où le collectif est lieu d'appui du singulier. Heiner Goebbels, grande figure du théâtre musical contemporain Une musique originale de Heiner Goebbels, jouée par le guitariste Alexandre Meyer, sous-tend magnifiquement la partition éclatée de la chorégraphie. Grande figure du théâtre musical contemporain, Goebbels compose pour l'occasion une fête sonore vivifiante, vagabonde et dynamique, qui assure aux " Lieux de là " le paysage d'un hors champ effervescent.

Jean-Marc ADOLPHE
Programme du Théâtre de la Ville
1er Mars 1999