Les licences comiques de deux diablesses


On les dit excentriques. Elles sont souvent provocantes. Maria La Ribot et Mathilde Monnier se jouent des règles du burlesque à la Comédie. Troublant

Des sœurs jumelles. Même silhouette androgyne, même visage allongé, mêmes cheveux tirés. Et, surtout, manière identique d’aborder l’art de façon décomplexée. Pour Mathilde Monnier et La Ribot, deux grandes figures de la danse contemporaine, l’art ne doit pas dorloter, mais déstabiliser, déboulonner. D’où Gustavia, cette suite de sketches au burlesque décalé: l’effet comique est là, mais tellement répété et étiré qu’il en devient dérangeant. L’idée? Montrer peut-être la violence d’une société qui va à toute allure pour ne pas perdre la face, sauver les apparences.

A la Comédie de Genève, depuis mardi, elles pleurent comme des madeleines. Et mouillent le long mouchoir noir qui accompagne ces flots de larmes. Ça dure, ça dure et il faudra s’y faire. Dans Gustavia, variation sur les codes burlesques, chaque fois que les drôles de dames ébauchent une situation, elles s’y installent jusqu’à épuisement. Pleurer, tomber, boxer, le geste comique n’est jamais suggéré, il est exploité jusqu’à l’absurde, jusqu’au démembrement.

Ainsi donc, deux pleureuses. Qui gémissent d’abord bouches fermées dans le micro placé à l’avant-scène avant de brailler tout à fait. C’est le début du spectacle et le public à qui on a promis une soirée de clowneries veut rire à ces pleurs cadencés. Il y a bien d’ailleurs quelque chose de drôle dans la vision de ces deux femmes en slip et pull noir versant des flots d’eau sans raison. Mais l’ennui est aussi de la partie. Et on se dit que le voyage en leur compagnie sera peut-être très long.

C’est qu’elles récidivent, dans la seconde séquence, sur le fauteuil qui trône au centre du plateau. Les performeuses, toujours au comble du chagrin, se piègent l’une, l’autre, mais sans la conviction, ni l’efficacité des vrais duos bur­lesques. A nouveau, on comprend le traitement volontairement grippé des codes de la représentation. Difficile toutefois de se passionner pour ce jeu-là.

Et puis, le ton monte à la faveur d’un orage. Subitement, le ciel sonore se déchire sur la tête des protagonistes et, entre deux coups de foudre, elles proposent une variation prenante du sketch de la planche. Le sketch de la planche, dans le répertoire burlesque, c’est cet enchaînement rituel où un protagoniste porte une planche sur l’épaule, se retourne et assomme son voisin par inadvertance. Revu sous l’angle contemporain, ce classique devient une séance de torture où Mathilde Monnier ne reçoit pas un ou deux coups sur la nuque, mais des dizaines et des dizaines. Ici, la répétition a un effet suffoquant.

Comme lorsque les danseuses jouent du pantalon. Sur une musique techno et dans toutes les ­positions, les deux agitatrices montent et descendent leur jambe de pantalon, rappelant dans ce jeu sur la routine une séquence de Steakhouse, pièce du chorégraphe Gilles Jobin, compagnon de La Ribot.

Alors quoi? Que raconte ce spectacle, que les artistes terminent debout sur des tabourets, dans un slam qui décline tout ce que la femme peut être et faire aujourd’hui?

Sans doute un désir, une utopie. Que chacun, spectateur ou citoyen, prenne le temps de porter sur la réalité un regard décalé. Et que l’étrange, l’indéfini ne soit pas immédiatement déclassé. Cette façon de flotter entre le burlesque décousu et la gravité aménage, dans la douleur et l’ennui parfois, un espace de liberté. Un accès privilégié à un imaginaire qui ne se laisse pas enfermer.

C’est au fond, un beau cadeau. Même si la soirée garde un côté flou et invertébré.