l'uppercut des donzelles


Emmanuelle Huynh, nouvelle directrice du Centre national de la danse à Angers, a la colère froide. Présenté au commencement du festival Montpellier Danse, Numéro, spectacle concocté avec le plasticien Nicolas Floc'h, joue des tours de magie avec lancers de couteaux et malles transpercées. Genre pin-up pour un nouvel épisode de James Bond, ou guerrière de manga, la danseuse se pointe avec tout l'attirail nécessaire : bâtons fluorescents, cannes à pêche télescopiques, talons hauts et combinaison latex noire du plus bel effet. La mise à mort, car elle a des gestes de torero qui porte l'estocade, peut commencer.

Il fait noir dans le Théâtre du Hangar, surchauffé sur le coup de 18 heures. Les flèches se fichent dans six panneaux. C'est dangereux, mais Huynh et Floc'h sont des simulateurs, des stratèges. Plantées, les pointes se changent en lucioles, en vers luisants. Bientôt, elles emprisonnent la belle espionne qui finit par déplacer les cannes qui la retiennent prisonnière, transformant la toile d'araignée en un jeu de mikado.

Tout Numéro vibre d'un humour ravageur, soutenu par une éthique et une esthétique sans concession : pute et insoumise, chienne sans garde.

Plus loin, voilà que la belle Mathilde Monnier, une ancienne, s'en donne à coeur joie en lançant sa bande de rockeuses à l'assaut du cent pour cent inodore, incolore, insonore. La directrice du Centre chorégraphique de Montpellier a choisi le rock comme vecteur de sa colère. Elles sont neuf sur scène, de 25 à 40 ans, à danser comme si elles se trouvaient dans une rave, une boîte de nuit ou une soirée allumée.

Le truc de Monnier ? Simple : à l'opposé de la conception de l'icône dictée par les magazines et les télés, elle fait de la bande des neuf une sorte de communauté féminine qui s'échange les vêtements, au point que, parfois, on ne sait plus qui est qui. On ignore aussi pourquoi le dispositif évoque plus la pratique de la glisse (rollers, skate...) que la fête non mixte. Ou pourquoi le temps est parfois distendu. Mais cela n'a pas grande importance.

En choisissant la diva rock anglaise P. J. Harvey, Mathilde Monnier, chorégraphe mais également ado perruquée sur le plateau, réactive quelques bonnes ivresses des années 70. Mais elle les tient aussi à distance par une danse très contrôlée, contemporaine, savante dans sa manière de distinguer un pied, étirée dans des renversements chavirants. Le seul contact dans cette boîte de nuit où chacune prend le contrôle de la piste est une main qui se pose sur une cheville.

Ce qui ravit dans ce spectacle, c'est la manière dont les donzelles harcèlent le public. Sans agressivité, Mathilde Monnier répond aux pressions de toute sorte. Sa pièce sonne comme un uppercut.

On ne pouvait rêver mieux comme ouverture du 24e Montpellier Danse. L'an dernier, Jean-Paul Montanari, son directeur, avait voulu une édition maison de passe pour mauvais garçons. Au lieu de quoi, le festival avait été la première des grandes annulations de l'été. Cette année, la colère gagne ses lettres de noblesse. L'ouverture fut grandiose et très publique.

Marie-Christine VERNAY

libération
29 juin 2004