Christine Angot et Mathilde Monnier crient la haine de leur milieu d'origine

    
Dès que Christine Angot pénètre à grands pas secs sur le plateau du Théâtre Grammont, son attaque guerrière indique son taux de colère ; l'écrivaine est remontée, et le spectacle La Place du singe est le fruit de son électricité intérieure. Composé avec la chorégraphe Mathilde Monnier, ce duo, présenté au festival Montpellier Danse, puis à Avignon, procède d'une nécessité impérieuse : celle de régler son compte au passé, en choisissant cette fois comme filtre la bourgeoisie, milieu d'où viennent ces deux artistes.

Charge contre la classe bourgeoise, ce dialogue croisé entre le texte rageur d'Angot et la danse serrée comme un poing de Monnier tourne et retourne le couteau dans la plaie : celle de la douleur d'appartenir à un milieu que l'on vomit mais qui menace de nous happer. Mathilde Monnier, directrice du Centre chorégraphique de Montpellier, est née dans une famille d'industriels alsaciens de Mulhouse, à laquelle appartient le cardinal Daniélou : elle n'a conservé aucun souvenir de son enfance, sauf celui d'une fugue à l'âge de 2 ans. Plus "bâtarde", Christine Angot, non reconnue par son père, un intellectuel parisien avec qui elle aura une relation incestueuse à l'adolescence, boite entre ce milieu et celui de sa mère, commerçante juive, avec laquelle elle ne se reconnaît aucune affinité.

La bourgeoisie donc, celle de l'argent et du pouvoir, Angot et Monnier en flinguent les signes extérieurs de richesse et le savoir-vivre basé sur l'apparence. "Tous des salauds, des vieux cons", résume Angot. Rien de bien nouveau. Le bonheur n'est pas l'apanage de la bourgeoisie, la souffrance intime non plus.

AU PLUS PRÈS D'ELLES-MÊMES

Plus que le rejet et la haine de la bourgeoisie, il y a chez les deux femmes un tiraillement douloureux, irrésolu : Angot saute à la gorge des bourgeois mais se déclare fière de son père ; Monnier étouffe, éructe des sons à peine humains, rétrécit à vue d'oeil à force de se contenir mais craint de ne pas échapper à ses origines.

Ce paradoxe trouve une acuité lorsque les deux femmes parlent au plus près d'elles-mêmes, de ce malheur d'être soi qui les unit. Si Angot est passée reine dans l'exercice de dévoilement, Monnier surprend. Son enfermement saute aux yeux. Un fil nerveux qui remonte à l'enfance lui hérisse la peau, la transperce de spasmes, tandis qu'en slip noir elle foule le drapeau français. La Place du singe attaque mais n'entame pas l'emprise du pouvoir bourgeois.

Pour évoquer son pays, Deborah Hay, figure de la post-modern dance américaine, a choisi de chanter des bribes de chansons américaines. Son ton, lorsqu'elle évoque le président Bush, auréole de désenchantement son solo A Lecture on the Performance of Beauty. Si son accent rend laborieuse l'écoute de son français, sa conférence reste passionnante sur un point : la comparaison de deux vidéos projetées côte à côte d'un même solo filmé à six mois d'intervalle, en 2003.

Joué d'abord en costume noir et rouge, ensuite il se donne nu. Six mois de différence pour un écart artistique énorme. Le premier campe encore dans la démonstration et le spectaculaire, le second s'offre dans la transparence et le dénuement. Entre une fausse victoire et une glorieuse défaite, Deborah Hay a choisi : elle détestait son costume, elle a bien fait de l'ôter.

La Place du singe, de Christine Angot et Mathilde Monnier, à Montpellier Danse. Jusqu'au 5 juillet. Tél. : 08-00-60-07-40. Au Festival d'Avignon, du 23 au 27 juillet. Tél. : 04-90-14-14-14.

Rosita Boisseau

Le Monde
3 juillet