BENJAMIN Massé-Lassaque ne dansera pas, à Avignon, dans L'Atelier en pièces de Mathilde Monnier, que donne le Centre chorégraphique de Montpellier. Il y tenait le rôle du conteur, maître du jeu. Au Quartz de Brest, où la chorégraphie fut créée en avril, puis à Montpellier où elle fut présentée en avant- première, en mai, ce jeune homme de haute stature, vif comme un chat, resplendissait du bonheur d'être là (Le Monde du 22 mai). Autiste, il n'était en rien un alibi à cet Atelier en pièces, élaboré à partir de travaux menés, depuis bientôt trois ans, par le Centre chorégraphique de Montpellier, avec des malades, enfermés dans leur silence. " QUI EST QUI ? " Le jeune garçon était lui, avec bonheur. Racontant l'histoire de Dracula, vue et revue à la télévision, interprétant différents rôles, changeant pour ce faire le timbre de sa voix, se mesurant, attentif, au corps des autres danseurs. Pour des raisons familiales, il abandonne provisoirement le rôle du comte Dracula et de son cocher. Ses mots et ses déplacements, il les a transmis au comédien Mathias Jung, un habitué des opéras de Luigi Nono et de Betsy Jolas, du théâtre d'Heiner Müller, du cinéma de Jean Marbeuf, de Jacques Rivette. Comment dorénavant les trajets dansés des membres de la compagnie de Mathilde Monnier s'inscriront-ils dans l'espace ? Benjamin Massé-Lassaque, si vivant, figurait un centre si mobile qu'il faisait parfois paraître " appliquées " les évolutions des danseurs, censées s'inspirer des déambulations de ces gens malades du silence. Sa simple présence, parmi les danseurs, inversait le rapport autiste/non autiste : " Qui est qui ? ", s'interrogeait un public gagné par l'incertitude. L'Atelier en pièces n'est pas à proprement parler un spectacle. Plutôt un work in progress, une proposition minimale : il s'invente sous une tente rectangulaire ; l'espace est tout blanc, et les chaises multicolores. Les danseurs sont au milieu des spectateurs. A aucun moment il ne s'agit d'imiter, de simuler, la douleur d'autrui. Les interprètes expriment davantage la peur que nous avons tous de l'enfermement, du repli sur soi. Ils impressionnent par leur simplicité même à s'abandonner à notre regard, si proche.

Dominique FRETARD
Le Monde
11 Juillet 1996