Dans Bruit blanc, la chorégraphe Mathilde Monnier se livre à une danse pleine de douceur avec une femme autiste. Danse. Mathilde Monnier est une chorégraphe atypique. Non pas tant par la danse qu'elle propose que par sa façon de travailler en véritable archéologue de l'âme et du corps. Chaque nouveau spectacle résulte d'une aventure singulière - un voyage en Afrique, comme ce fut le cas pour "Antigone", ou une étroite collaboration avec le clarinettiste Louis Sclavis, complice de plusieurs spectacles. Mathilde Monnier prend le temps des rencontres pour qu'elles durent au-delà d'un simple exotisme de la différence. Chaque création devient une partie visible d'une expérience, par un simple résultat en soi. Directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier depuis 1993, elle n'a rien changé à sa méthode, sa pugnacité à aller au-devant des risques et des difficultés. Elle en profite au contraire pour explorer des terrains encore plus obscurs. Depuis trois ans, Mathilde Monnier se rend une fois par semaine à l'hôpital de la Colombière à Montpellier et travaille avec des personnes autistes en se plaçant résolument sur le plan artistique. Le film qu'elle cosigne avec Valérie Urréa, "Bruit blanc", est un documentaire qui retrace le travail mené plus particulièrement avec l'une des jeunes femmes de la Colombière : Marie-France. Les premières images montrent le duo que Mathilde et Marie-France ont réalisé ensemble, porté par la musique de Louis Sclavis. Une danse pleine de contradictions, aux tensions extrêmes et pourtant toute en douceur - les corps s'enroulent, se fondent l'un dans l'autre, se détachent. Tout comme la matière, ils passent de la fusion à la séparation. On suit ensuite les séances de travail, coupées d'interventions du personnel médical. Mathilde y parle de sa première rencontre avec Marie-France, du rapport privilégié qu'elles ont développé, des affinités qu'elles se sont découvertes. Quand la question thérapeutique se pose, c'est pour être aussitôt ramenée sur le terrain artistique. Les médecins sont d'ailleurs ravis de ne pas avoir entre les pattes quelqu'un qui prétendrait se substituer à eux et déclarerait avoir tout compris. Très à l'écoute de la démarche proposée par la chorégraphe, ils constatent qu'elle peut amener une amélioration, si le patient choisit de répondre à ce travail, et il est très clair que dans le cas de Marie-France, c'est à une forme artistique qu'elle réponde. À aucun moment elle ne fait pour faire, elle réagit avec une sensibilité forcément déroutante et invente des propositions qui déstabilisent la chorégraphe. À une certaine étape du travail, Mathilde Monnier emmène Marie-France au Centre chorégraphique pour y travailler. Au milieu du grand studio blanc, la jeune femme brune au corps un peu voûté, à la souplesse impressionnante, s'exerce à la barre et devient, sortie du contexte hospitalier, quelqu'un presque "comme tout le monde". Rien de spectaculaire dans ce film, mais l'émotion que l'on ressent à découvrir les balbutiements d'une rencontre, la complicité de deux êtres qui, malgré l'absence de mots, rendent lisible et visible leur échange.

Véronique KLEIN
Les Inrockuptibles
14 Avril 1999