Le temps d'un festival, toutes les nationalités se croisent et apprennent à se connaître. Et le spectateur profite au fil des spectacles de cette belle diversité. Cette année, le plateau danse est particulièrement copieux à Montpellier. Bernado Montet, Michel Kelemenis, Régine Chopinot, Santiago Sempere, Susan Buirge : autant de chorégraphes, autant de créations mondiales, sans compter les spectacles souvent somptueux venus de toute la planète, Ballet royal khmer, danses du Rajasthan, etc. Et des rencontres, des échanges, de la vie, notamment au restaurant organisé par le festival lui-même, où tout le monde se croise et se parle. C'est Mathilde Monnier, directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier, qui a inspiré au directeur de la manifestation, Jean-Paul Montanari, l'idée de ce festival mosaïque. La chorégraphe travaille depuis longtemps avec des danseurs et des compagnies africaines, et sait ce que connaître et respecter l'autre veut dire. Jean-Paul Montanari, quant à lui, conçoit la culture "comme une arme de résistance". Sa 17e édition se veut une réponse au racisme et à l'obscurantisme. Mission accomplie. Au studio du nouveau centre chorégraphique, Mathilde Monnier présentait en outre sa nouvelle création, Arrêtez, arrêtons, arrête, une ouvre hors normes dont l'un - des nombreux - mérites est de jouer la confrontation entre parole et corps, entre dépense verbale et rigueur du mouvement dansé. La parole est là, envahissante, spectaculaire, débridée, logorrhéique, braillarde, râleuse, provocante, aguicheuse. Elle percute la danse, prétend parfois la soutenir, la parasite souvent. Et le comédien qui, littéralement, la fait jaillir de lui (texte de Christine Angot), sait comme personne "encombrer" la danse, à moins de se mélanger à elle et de se laisser, enfin, neutraliser. Face à cette parole débordante, parler de rigueur semble relever du paradoxe, quand on connaît la violence de la danse de Mathilde Monnier, une violence de plus en plus paroxyste depuis l'Atelier en pièces, sa dernière ouvre ; Mais le paradoxe n'est qu'apparent. Car la violence est portée ici par des corps responsables et acérés, ceux de danseurs engagés dans la même quête rigoureuse du sens que leur compagne chorégraphe. Ailleurs, une telle virtuosité serait l'apanage d'une danse qui ne sait parler d'autre chose que d'elle-même. Chez Monnier, on est au contraire au cour du monde. Et d'ailleurs concrètement introduit à l'intérieur du dispositif scénique lui-même. Ainsi mis au contact avec la sueur, l'effort et l'énergie prodigieuse émanant des danseurs, le spectateur expérimente à son tour cette douleur du monde qui est ici, identiquement, celle de la danse. Il y a quelque chose d'une Dreyer chez cette jeune femme qui parle comme personne de mal et de rédemption. Depuis les années mâchefer de 'Sur le champ', et toutes les pièces qui ont suivi, 'Pour antigone', 'Nuit', 'L'atelier en pièces', elle regarde la folie du monde, elle la porte en elle, elle la recrache, et elle crie, Cassandre contemporaine, 'Arrêtons'. Ses interprètes lui prêtent main-forte : Herman Diephuis, Rita Quaglia - l'ascétisme fait danse - Joel Luecht, Dimitri Chamblas, Eszter Salamon, Corinne Garcia, les deux magnifiques danseurs africains qui se sont attachés à la compagnie, Seydou Boro et Salia Salou, enfin le comédien Mathias Jung. Scénographie, son, lumière, costumes participent impeccablement à la réussite d'une ouvre dont l'éclat a celui du silex. Dure, dérangeante, indispensable. Dernières créations à découvrir les pièces de deux chorégraphes marqués par le Japon, Susan Buirge, qui y travaille depuis 1993, et Santiago Sempere.

Chantal AUBRY
La Croix
4 Juillet 1997