La chorégraphe montre la première partie d'un spectacle évolutif en trois volets. La nouvelle création du centre chorégraphique national est en prise avec l'actualité. Après des expériences et des spectacles qui s'intéressaient à l'univers des autistes, Mathilde Monnier cherche de nouveaux outils de pensée pour s'opposer aux idéaux de l'extrême droite. Tout en souhaitant s'adresser à un plus large public. Elle convoque pour cela des danseurs et interprètes qui ont travaillé avec elle jusque là. Midi libre : " Les lieux de là " est un titre énigmatique. Comment l'entendre ? Mathilde Monnier : Il est toujours difficile de trouver un titre qui ne fige pas les idées qu'on a voulu développées. Et par ailleurs, c'est en danse une nécessité qu'on ne retrouve pas forcément pour d'autres disciplines artistiques. " Les lieux de là " est un titre qui a pour moi une résonance affective. En même temps, dans ce titre, il y a le terme de " lieu ", un thème auquel je tiens particulièrement pour cette pièce. M-L : Question " lieu ", vous revenez pour cette pièce à la configuration du théâtre à l'italienne. Pour quelle raison ? M.M. : Je me suis sentie dans l'obligation, après avoir expérimenté, ces dernières années, d'autres configurations scéniques, de revenir à un type de spectacle que l'on pourrait jouer dans de grandes salles et qui, de ce fait, irait d'avantage à la rencontre d'un plus large public. Cela me permet, pour l'instant, de mieux affirmer certaines idées. M-L : Cela signifie-t-il que vous laissez de côté certaines préoccupations ? M.M. : Pas exactement. Il est clair que les expériences que j'ai menées avec des psychotiques, avec l'association " Les Murs d'Aurelle ", sont présentes en moi. Mais je n'ai pas envie d'être étiquetée comme la chorégraphe qui en aurait fait une spécialité. Et je fais aussi la même réflexion, dans mon rapport avec l'Afrique. Ma récente tournée sur ce continent m'a convaincue que je ne souhaite pas devenir une sorte de maître de la danse contemporaine en africaine. J'ai besoin de m'ouvrir à d'autres réalités. M-L : Comment est construite cette nouvelle pièce ? M.M. : Ce que verra le public constitue la première partie d'un ensemble qui comportera trois volets en tout. Le second devrait être présenté en avril 99, et le troisième, été ou automne 99. C'est donc un spectacle évolutif. L'idée qui me guide est la suivante : comment penser une communauté aujourd'hui ? communauté de pensées, de vision. Je souhaite rassembler des danseurs qui ont travaillé avec moi, à un moment ou à un autre, tout en ayant maintenant pour la majeure partie d'entre eux, un travail personnel de chorégraphe. Ils appartiennent aussi à la même génération que la mienne. Leur engagement dans le processus de travail est important. J'avais besoin que ce soit des interprètes de haut niveau, avec une grande qualité de présence intérieure, qui puissent improviser, tout en respectant la gestuelle de la pièce qui est plus élaborée, plus complexe, plus écrite que dans mes précédents créations. M-L : C'est donc une étape particulière. M.M. : C'est un passage important où je remets en jeu mon travail pour m'orienter vers de nouvelles recherches. Je me suis inspirée, entre autres textes, de Beckett et de certaines réflexions du peintre Dubuffet à la fin de sa vie, sur la notion de " place ". Place de l'individu, dans une société où il prend une dimension de plus en plus grande. Place de la communauté comme une nouvelle utopie. On assiste en effet aujourd'hui à de profonds changements. La fin du Xxe siècle, c'est en particulier la fin des utopies de type communautaires, la fin du communisme tel qu'il avait été pensé dans les pays de l'Est. Mais il me semble nécessaire de repenser la communauté à nouveau. Pendant toute la préparation du spectacle, des termes revenaient tout le temps : se soutenir, être soudés, se porter, s'appuyer l'un contre l'autre - des mots essentiels pour repenser la communauté. La danse propose une traduction physique de cette utopie, qui peut relever parfois du corps à corps, parfois de figures à deux ou à trois. M-L : Y a-t-il en cela une résonance par rapport à vos récents engagements politiques après les élections régionales et le tour que cela a pris en Languedoc - Roussillon, spécialement pour vous qui avez été citée comme opposante aux idéaux culturels de l'extrême droite ? M.M. : Oui. Ce qui m'intéresse à l'heure actuelle, c'est de trouver les nouveaux outils qui permettrons de luter contre les idées du Front National. C'est une réflexion qui ne m'engage pas seulement moi-même, mais aussi des gens qui viennent d'autres horizons professionnels que le mien. On brasse beaucoup d'idées. Mais cela ne suffit pas. Il faut aussi chercher d'autres moyens, d'autres outils de pensées, des outils concrets, pour contrer des idéaux de type extrémiste, dont la pensée se banalise aujourd'hui dans la société. C'est insidieux et dangereux. Il y a donc urgence.

Lise OTT
Midi Libre
27 Juin 1998