La chorégraphe Mathilde Monnier a jeté l'ancre à Montpellier. L'installation n'est pourtant pas son fort : aventurière par principe, rien ne lui paraît jamais acquis. Arrêtez, arrêtons, arrête, sa nouvelle création montée en collaboration avec la romancière Christine Angot, en est une nouvelle preuve. Rien ne prédisposait particulièrement Mathilde Monnier à entrer dans le Who's who de la danse contemporaine française, sinon une curiosité sans limites et une âme d'exploratrice. Née à Mulhouse, elle passe son enfance sous les croissants de lune du Maroc, au son des youyous et au rythme des danses de villages berbères - pas vraiment influencée par Maurice Béjart. C'est donc de retour en France, vers 17 ans, qu'elle fait ses premiers pas dans un cours de danse, à Lyon. "Très intuitivement et immédiatement, j'ai su que c'était ce que je voulais faire. Il m'a semblé que la danse contemporaine pouvait dire des choses que d'autres arts ne pouvaient pas exprimer, qu'elle collait à son époque. Je me suis engouffrée là-dedans." Engouffrée, le mot n'est pas trop fort : après deux petites années de formation accélérée, elle est engagée dans une compagnie professionnelle sans passer par la case ateliers/stages. "J'avais besoin de me confronter à d'autres danseurs, d'autres techniques. A l'époque, c'était à l'école de Merce Cunningham qu'émergeait une génération de chorégraphes et de danseurs de très haut niveau. Ce qui se passait aux Etats-Unis au niveau de la danse contemporaine était fondateur et comme j'ai toujours été fascinée par les maîtres américains, je voulais les rencontrer." La voilà donc partie à New York où, quelques années plus tard, elle concocte avec Jean-François Duroure le duo qui les rendra célèbres, Pudique Acide / Extasis. "On louait des studios de répétitions, mais c'est dans la cuisine qu'on l'a créé". Le couple Monnier/Duroure devient international et traverse allègrement les continents. "C'était assez rigolo de voir ce petit duo faire le tour du monde. On avait les cheveux droits sur la tête, des kilts et des impers qui couvraient des tutus, on était complètement dans l'air du temps." Après ce succès fulgurant et prometteur, ils s'engagent chacun dans des voies différentes. Mathilde Monnier va alors danser pour François Verret - une rencontre essentielle qui va lui donner le goût de tous les risques : "Le travail de François laisse une très grande place aux interprètes et il y a une marge de créativité énorme. C'est en dansant chez lui que j'ai commencé à faire de la chorégraphie, que j'ai présenté, et gagné, le fameux concours de Bagnolet avec une pièce qui s'appelait Cru, où il y avait plein de morceaux de bifteck sanguinolents." Elle gagne ses galons de chorégraphe et crée sa compagnie, ce qui ne l'empêche pas de conserver des espaces de liberté privilégiés quand elle danse par exemple ses Chinoiseries, incroyables dialogues avec la clarinette et le saxo de Louis Sclavis. Comme elle déteste par dessus tout la danse qui parle de la danse, elle se tourne toujours du côté du monde. Attirée par l'Afrique, elle part avec un projet dans ses bagages à la rencontre de danseurs africains du Burkina-Faso et du Mali. Passé les premières interrogations autochtones devant cette blonde Alsacienne, toute mince et un rien pâlotte, le dialogue se noue et durera deux ans pour se conclure par un spectacle, Pour Antigone. "Le travail d'approche a été long. Au départ, les gens se demandaient ce que je venais chercher, la confiance s'est établie sur la durée. Je suis allée dans les villages, puis j'y suis retournée avec des images et des films pour organiser des stages. Je suis finalement revenue avec cinq danseurs et un musicien. Aujourd'hui, certains d'entre eux ont fondé leur propre compagnie. Je suis de très près leur évolution car j'ai participé à la création du premier concours de danse africaine contemporaine. Les danseurs de toute l'Afrique s'y retrouvent et on peut voir l'émergence d'un vrai courant contemporain. Avec Pour Antigone, il ne s'agissait pas de faire un pseudo-métissage, il y avait vraiment deux versions de la pièce, une noire et une blanche. On m'a d'ailleurs pas mal reproché de ne pas avoir été assez exotique dans ce projet." La consécration est définitivement arrivée le jour où elle a été choisie pour succéder à Dominique Bagouet comme directrice du Centre national chorégraphique de Montpellier. "C'était difficile et étrange, car c'était la première fois qu'un poste dans une telle institution était vacant pour cause de décès de son directeur. Ça a sans doute été plus simple pour moi car je ne le connaissais pas directement et que mon travail est très différent." Impressionnée sans doute, elle ne se fige pas pour autant dans la fonction, et c'est avec les autistes de l'hôpital de la Colombière qu'elle décide de remplir le contrat de "proximité". "Attention, prévient-elle, il ne s'agissait ni d'une mission sociale ni de faire un spectacle sur les autistes. Ce qui m'intéressait, c'était de les rencontrer en tant qu'êtres humains. Le projet était fondé sur le langage, à partir d'une expérience que j'avais eue en hôpital psychiatrique. Les autistes n'ayant pas accès au langage symbolique, ils ont un langage du corps extraordinaire. J'ai réappris à regarder le mouvement. L'autisme, personne ne sait tellement comment le traiter, pas même les médecins ou les psychiatres. Au moins, j'étais sûre qu'ils n'attendraient pas de résultats. Mais il s'agissait d'un projet artistique, et non thérapeutique - la danse ne guérit pas. Je crois qu'elle permet un échange : c'est forcément intéressé, c'est donnant donnant, je vais voler telle ou telle idée, comme je les volerais dans la rue ou ailleurs". Rassasiée d'expériences ? Pas du tout. C'est dans l'ancien couvent des Ursulines, qui abrite le Centre chorégraphique, à la structure de bois, de métal et de verre harmonieusement dessinée dans la pierre moyenâgeuse, qu'elle enfonce le clou. Sa nouvelle création, Arrêtez, arrêtons, arrête, sur un texte de Christine Angot, bouscule le bel ordonnancement - l'auteur, elle aussi montpelliéraine d'adoption, n'étant pas franchement réputée pour le côté policé de ses textes. "Quand j'ai rencontré Christine Angot, je lui ai tout de suite dit que je n'avais jamais réussi à finir un seul de ses romans. Je me demandais ce qu'était cette écriture, qui était cette bonne femme. Ça me bougeait à un drôle d'endroit. Et puis elle a insisté pour que l'on travaille ensemble. Elle est venue aux répétitions et a écrit en même temps que le spectacle se construisait. Pour les danseurs, habitués à travailler sur une musique, ça a été très difficile de n'avoir qu'un texte comme support sonore. Une musique, c'est immédiat, ça donne tout de suite un mouvement à l'imaginaire ; les mots, c'est autre chose. Ils ont fini par l'accepter. Je ne sais pas comment le public va réagir. C'est un texte de Christine, donc sans aucune concession, taillé au couteau comme elle sait très bien le faire. Quand elle décrit les gens, elle donne les vrais noms, je ne suis pas sûre que ça fera plaisir à tout le monde ! Ce que j'aime dans cette collaboration, c'est la certitude qu'il n'y a ni demi-mesure ni romance gentillette. Je ne veux pas me sentir enchaînée à quoi que ce soit, traîner un quelconque boulet sous prétexte que je dirige ce centre. Je me sens totalement libre." Cette création d'Arrêtez, arrêtons, arrête inaugure le 17e Festival de Montpellier Danse, qu'elle défend particulièrement cette année pour la mission interculturelle qu'il s'est fixée. "Cette année, ce n'est pas juste un endroit où les programmateurs viennent faire leur marché, c'est avant tout l'invitation de deux cent étudiants et artistes venus du monde entier qui, une semaine durant, seront logés, nourris et participeront à des stages, des ateliers et des rencontres avec des chorégraphes et des danseurs. Un projet prévu sur trois ans. On peut toujours critiquer un festival, une programmation, mais jusque-là, personne ni aucun pays n'a fait ce genre d'expérience et mené une telle politique".

Véronique KLEIN
Les Inrockuptibles
25 Juin 1997