« La vraie nudité, c’est se mettre en danger sur scène »

Après les larmes et le sang déversés par le plasticien gothique Jan Fabre, c’est au tour de la chorégraphe Mathilde Monnier d’occuper la scène. Avec Frère et sœur, une création, et La Place du singe, un duo dansé-parlé en compagnie de l’écrivain Christine Angot. Décryptage.

Cette année, la danse a envahi le Festival d’Avignon, où elle se fond dans les performances radicales (baptisées « propositions dansées »). Où vous situez-vous dans ce méli-mélo ?
Je n’adhère pas à ce courant provocateur relativement minoritaire et propre à quelques artistes belges. Les présenter à Avignon, c’est le choix des directeurs. Peut-être ont-ils programmé mes spectacles dans la foulée pour tempérer ? Mais je ne veux pas opposer danse et théâtre. La danse tente d’intégrer d’autres formes. Tant mieux ! En vingt ans, elle a bouleversé le champ artistique, elle prend des risques, elle pousse de tous côtés, vers la performance, la musique, la vidéo, les arts plastiques, le cinéma…

Le corps est montré souffrant, malmené, torturé et souvent dénudé.
Personnellement, je n’ai jamais mis quelqu’un nu sur scène. Dans La Place du singe, je suis dévêtue, mais je garde le bas. Je me mets à nu, métaphoriquement, en jouant avec les paroles de Christine Angot, en apportant un contrepoint de dérision, d’humour, à son texte, comme si j’étais « sous » ses mots. C’est cela la vraie nudité : se livrer, se mettre en danger sur scène.

Le texte s’interroge sur la bourgeoisie. Un peu désuet, non ?

Comme classe sociale, oui. Mais le confort bourgeois, lui, ne l’est pas : c’est notre référence à tous. Sous laquelle de nos pensées se cache la bourgeoisie aujourd’hui ? L’artiste en fait-il partie ? Je crois que la bourgeoisie recouvre aussi l’art, elle l’achète et s’approprie l’artiste. Sauf au moment où il est sur scène : là, il lui échappe, par l’imaginaire.

Comment danse-t-on la bourgeoisie ?
Je présente des figures révoltées – celle du singe, non dans son animalité, mais dans son humanité, au moment où il vient nous imiter, nous singer – ainsi que des figures de folles, de tueuses… C’est un regard porté sur moi-même, dérisoire, humoristique, cynique. La danse permet de libérer l’inconscient, lieu empli des choses effrayantes et incontrôlées.

Vous pourriez jouer à libérer votre inconscient avec Christine Angot dans votre salle de bains. En quoi cela concerne-t-il le public ?
Détrompez-vous, ce n’est pas une pièce intimiste, mais un spectacle généreux en empathie profonde avec le public. J’ai d’ailleurs appelé mon autre pièce Frère et sœur, pour que les gens puissent la faire leur, d’emblée, à travers le titre.

Vous y figurez le lien familial au moyen de trois scènes et d’une boîte par laquelle passent les danseurs. C’est la famille recomposée ?
En quelque sorte. Aujourd’hui, les liens se désagrègent, la famille n’est plus ancrée dans la société. Elle devient une recherche incessante. La boîte est un lieu de redistribution, comme on le dit des cartes : on repart ailleurs, vers d’autres relations. Au début, il y a l’énergie brute des corps, le rapport primaire entre frère et sœur, la « frérocité » dont parle Lacan. Il s’agit ensuite de dépasser la violence, le désir, pour aller vers la confiance et la protection.

Qu’est-ce qui vous fait danser ?
 Les rapports humains. Ils me fascinent totalement. Comprendre, par le corps, la relation avec l’autre, c’est la quête qui m’anime. C’est pourquoi j’ai travaillé sur l’autisme. Je pense que la danse est le premier vecteur de cette compréhension. Peu importe le style : ce qu’il y a à l’intérieur du danseur m’émouvra toujours plus qu’un beau geste.

Propos recueillis par Dominique Simonnet
l’express
18 au 24 juillet 2005