Monnier et La Ribot
Dans « Gustavaia » le bateau de l’art prend l’eau. Une pièce disjonctive, noire et burlesque


Bug et Hystérie

Dans Gustavia on se croirait à l’intérieur d’un cercueil. Tout est noir et c’est capitonné. Pas l’ombre d’une couleur si ce n’est la blondeur des cheveux et le rose de la peau de Monnier et La Ribot, en petit haut et slip noirs.
A l’ouverture, deux femmes – copines, sœurs, veuves – qui se ressembleraient presque comme deux gouttes d’eau, pleurent et geignent à n’en plus finir. Cette allergie lacrymale déclenche les rires dans la salle, et sur scène survient un orage sonore et une grosse averse continue.
Gustavia parle du vivant en évoquant la mort, l’artiste et les femmes. C’est une pièce pas sérieuse du tout, placée sous le signe du burlesque, qui pourtant distille une angoisse mortelle sur l’avenir de l’art. Il y a un vide délibéré habité avec pas grand chose. On assiste à un bug total des interprètes. Pendant un long moment, Maria assène des coups de planche à répétition à Mathilde qui a la tête dure et s’obstine à se relever.
Deux femmes disjonctent, se giflent, veulent mourir, se tuer, et sont malgré tout complices. La tête dans le seau, elles font les femmes objet, enfoncent le clou de leur folie en se coiffant d’un entonnoir. Elles exhibent  leurs genoux avec insistance comme elles auraient pu le faire avec leurs fesses, se planquent sous les tapis, grimpent aux rideaux, qui ne sont pas devant mais au fond et sur les côtés de la scène, se mettent en mode jeu vidéo et robotisent en moulinant sec des bras. Femmes hystériques dans tous leurs états, sauf dans des postures bien comme il faut.
Jusqu’à présent, les pièces que Mathilde Monnier a créées en duo dialoguaient avec d’autres champs : littérature (Angot), musique (Philippe Katerine)… La chorégraphe, sans monopole de style, accepte, non sans une certaine prise de risque, de se laisser embarquer dans d’autres univers et de déteindre sur eux.
La rencontre s’opère cette fois avec une chorégraphe espagnole, évoluant plutôt en solo et dont le travail est proche des arts plastiques et de la performance. On attendait une confrontation plus radicale et étonnante. Mais de cette rencontre ne surgit pas le choc. Les deux chorégraphes ont aménagé un espace commun et fusionnent.
Gustavia est une pièce light et agitatrice sans être vraiment percutante. Elle démarre bien et s’achève dans un bon délire qui réveille. Juchées sur tabouret, elles lancent un crescendo verbal parodiant les attributs convenus de la féminité, les poussant à leur comble pour contredire les places figées qu’on veut leur assigner. Entre les deux, les scènes sont longues, les sujets effleurés, c’est le trou noir, le chaos. C’est le deuil aussi et le bateau prend l’eau.
La pièce est assez vide mais paradoxalement les images qui nous sont adressées suscitent beaucoup d’interprétations. On reste en plan avec des malaises déjà identifiés par ailleurs, il faut  se débrouiller avec. Non pas que la pensée toute mâchée soit intéressante mais ça fait un peu « après nous le déluge ».

Anne LERAY