La première création de Mathilde Monnier séparée de Jean-François Duroure. Surréalisme, cocasserie et violence. Une réussite. La question agitait le petit monde de la danse depuis qu'il avait appris la séparation de Mathilde Monnier et de Jean-François Duroure, auteur bicéphale à succès. La moitié de Monnier-Duroure, serait-ce aussi bien que Monnier-Duroure ? Qui avait le talent ? Elle ? Lui ? Les deux ? Une première pièce à conviction vient d'être apportée au Théâtre de la Bastille. Titre : Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt. Auteur : Mathilde Monnier. Réponse : elle a du talent. On retrouve très fortement le climat de Mort pour rire, qui nous avait envoûtés au Théâtre de la Ville en décembre dernier (c'était Monnier-Duroure). Deux doigts de surréalisme, deux doigts de cocasserie, un doigt de violence, le tout saupoudré de théâtralité. Le cocktail est très mode. Mais il est efficace. La note surréaliste est confiée le plus souvent à un garçon moitié chauve et très dodu, plus comédien que danseur. Il tient, avec un léger accent anglais, des propos incohérents (il veut s'acheter "un petit quelque chose", tantôt dans la forêt, tantôt dans le désert). Les yeux bandés, il court sur le plateau en hurlant : "Mademoiselle, mademoiselle !". Ou bien, l'air béat, il est assis sur une sorte de plongeoir, tandis qu'un autre, de la planche supérieure, fait tomber sur sa tête des petits carrés de papier blanc, comme des flocons de neige. Au même moment, un film minuscule est projeté sur un pan de rideau, montrant une tempête de neige. La cocasserie réside parfois dans l'emploi des costumes ou des accessoires. Entrent, par exemple, trois boules de laine, secouées d'un fou rire bientôt communicatif (ce sont des grandes robes rabattues sur les têtes). Parfois dans l'impossibilité physique d'accomplir quelque chose : un danseur s'est coincé le bras derrière la tête et fait des efforts douloureux pour le décoincer. Une créature en anorak, couchée sur le sol, ne parvient pas à se relever : elle fait des bonds de poisson au fond d'une barque, c'est très drôle, mais son corps doit ressembler à un morceau de bleu d'Auvergne après cette performance. La violence se manifeste ainsi dans des exercices isolés ou le plus souvent dans les rapports entre danseurs : un petit brun avide d'affection se fait très méchamment jeter au sol, dix fois, vingt fois par celui auquel il tente de s'accrocher. S'il y a un peu trop de figures obligées de la danse contemporaine, comme les courses en tous sens sur le plateau, il y a aussi de jolies trouvailles chorégraphiques : un flirt de crabes, un duo de haricots sauteurs ou ce très beau pas-de-deux au ralenti de danseurs enlacés. La bande-son, comme il est d'usage, colle des bribes de musique à des bruits divers, des aboiements de chiens très lointains ; il y a aussi beaucoup de silences. Cela semble se passer dans un pays où il fait froid : pulls, manteaux, bonnets, glissades de patineurs et grands gestes des bras pour se réchauffer. Suite du feuilleton la semaine prochaine, toujours au Théâtre de la Bastille : Jean-François Duroure présente à son tour sa création à part entière.

Sylvie DE NUSSAC
Le Monde
19 Février 1988