On se garde bien, en dépit des sympathies qu'il suscite en danse contemporaine, de citer expressément Fred Astaire dans un spectacle, fût-ce dans un extrait de swing time, un film de 1937, comme le propose, pour deux soirs (aujourd'hui et demain), Bertrand Davy et Dimitri Chamblas. C'est dire comme l'émotion a du mal à se faire jour sans culpabilité, une fois que les impératifs théoriciens sont à l'ouvre dans les esprits. Et pourtant l'éveil imaginaire que suscite l'étonnant Fred Austerlitz, quinze ans après sa mort, fait des émules. De Bertrand Davy, (interprète, comme Dimitri Chamblas, dans de nombreux projets de Mathilde Monnier) et formé aux claquettes par Alice Kay, à Virgile Dagneaux, collégien de quinze ans, rencontré par les précédents sur le plateau de Potlatch dérives, été 2000, au Centre Chorégraphique. Claquettes donc pour cet 'Hors Séries', réalisé en une résidence recherche de huit jours, sous le titre poétique d'A nos endroits : chacun sa place, tout en commun. Cela donne une forme courte (40 mn), bourrée de rêves et d'évasion, de bouts de films captés en tournée, entre gare de Frankfort et horizons marocains, de silences, de bribes volées au hasard, de rythmique courant n'importe où, du bout des pieds aux marteaux du piano (grâce à Oscar Peterson), d'humeurs joyeuses et de lyrisme. Spontanément. Pour y plonger sans perdre son âme, Bertrand Davy a imaginé de se lover dans une ombre cousue de fil noir (une terreur en couture pour Dominique Fabrègues). C'est un trouble, c'est un double, une part de soi jaillie de la mer.
Lise OTT
Midi Libre
Jeudi 23 Mai 2002