Grosse bise de Lisbonne. Glaciale, la bise. C'était il y a trois
semaines et la chorégraphe Mathilde Monnier avait entraîné le chanteur
Philippe Katerine sur les rives du Tage.
Le duo, épaulé par 5 danseuses et danseurs, occupait alors le Teatro
Camoes pour présenter 2008 Vallée aux spectateurs portugais. Un public
«toujours un peu froid», selon Mathilde Monnier. Froid, il ne devait
pas le rester longtemps. Même en version surtitrée, 2008 Vallée arrime
des sourires béats sur les visages les plus crispés.
Chorégraphie chantée
Irriguée
par les textes du dernier CD du chanteur, Robots après tou t, cette
«chorégraphie chantée» explore des territoires ludiques de dinguerie
communicative. Les mots de Katerine y glissent sous les pas des
danseurs comme autant de bonbons acidulés. C'est frais, étonnant, sexy
et totalement jubilatoire.
Artiste «borderline», Katerine enfile
volontiers la défroque de simplet du village planétaire pour titiller
l'époque. Le spectacle, qui s'ouvre sur une interprétation démultipliée
de Louxor, j'adooore, cultive le futurisme rétro, avec une touche de
flower power.
Inverser les sens
D'ailleurs, dans
2008 Vallée, tout semble cul par-dessus tête: les décennies se
chevauchent, les danseurs chantent, le chanteur danse. «Il y a une
sorte de transformation un peu inédite, confirme Mathilde Monnier. Le
passage du concert au spectacle n'était pas évident: il faut un peu
inverser les sens».
C'est après avoir vu la chorégraphe à la
télé que Katerine décide de la contacter. «J'avais déjà eu des
propositions de chanteurs, mais ça n'avait jamais abouti, se
souvient-elle. En général, ils n'osent pas aller au bout de leur
projet. Philippe, lui, s'est beaucoup investi».
L'idiot du village
Première
rencontre, discussions… ces deux-là découvrent très vite qu'ils ont
beaucoup en commun. «Il y a des univers proches, relève Mathilde
Monnier. La bêtise, l'idiot du village. Il fallait relier cette espèce
de décalage, joindre l'idée de la bêtise et du dandysme, les deux
thèmes que nous voulions traiter».
Elle dit ça, réfléchit un
instant, puis revient sur le sujet: «J'aime bien l'idée de la bêtise.
Comment tourner autour de son clown, trouver son naïf ou son bêta en
soi. Ça me plaît de ne pas toujours être dans la maîtrise».
Déjà,
dans La place du singe (programmée l'année passée à la Comédie de
Genève), la chorégraphe était parvenue à décrisper la parole tranchante
de Christine Angot. Dans le cas de l'écrivaine comme dans celui du
chanteur, ce sont les mots qui servent de déclencheurs. «Il y a
toujours eu le désir de faire ce lien entre les mots et le langage du
corps, poursuit Mathilde Monnier. Que les deux fassent sens, qu'il n'y
ait pas de hiérarchie».
Sur scène, la symbiose fonctionne
d'autant mieux que Katerine laisse libre cours à sa fantaisie. Habitué
à joindre le geste à la parole lors de ses concerts, il n'a pas cherché
à copier les danseurs. «Il ne fallait pas se caler sur des modèles,
conclut la chorégraphe. Chacun devait vivre ça dans son corps, dans sa
voix».
Au final, on pourrait situer 2008 Vallée quelque part
entre L'île aux enfants et celle de Wight. A mi-chemin d'une innocence
qui refuse de se faner et d'un rêve pop qui se dilue peu à peu dans le
réel. Un monde idéal où, une fois après tout, on se gardera d'être
robot et con à la fois…
lionel chiuch
tribune de genève
14 février 07