À Montpellier Danse avec Black Lights, Mathilde Monnier crée une pièce choc, indispensable, et invente une nouvelle forme hybride de parlédansé à l’avenir prometteur.
Ce sont des violences « ordinaires ». Banales, pour la plupart, si banales que les femmes, pendant des années – que dis-je, des siècles – ont fini par presque s’y habituer. La remarque totalement déplacée sur le chignon, celle sur les talons, les sifflements, les apostrophes dans la rue, les agressions quotidiennes, et celles qui vont plus loin, coups, blessures, viol, meurtre. Mais toutes participent du même principe : un droit imaginaire (mais avec passage à l’acte bien réel) sur le corps des femmes. Et c’est exactement là que Mathilde Monnier intervient. A l’endroit de la violence sociétale qui s’exerce sur les corps. Et plutôt que faire de Black Lightsle récit de victimes, elle crée un manifeste tant parlé que dansé non pas pour dénoncer – après tout, #MeToo le fait impeccablement – mais pour le montrer. Et ça c’est plus fort. Car il faut voir ces jambes écartelées, ces positions intenables, ces membres qui se disloquent, ces mains qui se tordent, ces corps au bord de l’explosion, déglingués, détraqués, ces cris, ces bras qui hurlent, ces jambes qui se lèvent, ces poings serrés prêts à frapper.
Toute une gestuelle qui nous dit une énergie de destruction et de recréation. Ces femmes au bord du mal être avec un désir vital de construire une autre société. Il faut les voir, ces huit femmes, solidaires face aux injonctions de tout ordre, non dénuées d’humour. Il faut les voir ces huit femmes en colère, s’épaulant les unes les autres, se regroupant, telles de nouvelles Erynies – ces divinités persécutrices devenues gardiennes de la justice – sifflantes, huantes et finalement bouleversantes, absolument nécessaires pour se soutenir et combattre les maltraitances… normales ? coutumières ? familières ?
Les souches encore fumantes de troncs d’oliviers calcinés disent beaucoup de cette violence subie, dévastatrice. Marchant, courant, invectivant leurs agresseurs dans toutes les langues, ces femmes d’âges et d’origines différentes inventent une pièce choc, incontournable, avec huit danseuses et comédiennes absolument superbes (sabel Abreu, Aïda Ben Hassine, Kaïsha Essiane, Lucia García Pulles, Mai-Jùli Machado Nhapulo, Carolina Passos Sousa, Jone San Martin Astigarraga, Ophélie Ségala), nous donnant du courage à revendre dans cet outre noir (presque) lumineux, comme le visage de ces résistantes ! Car de ce paysage sombre et désolé, peut surgir une lumière, noir certes, mais appelée à briller comme un phare.
Mathilde Monnier nous dit que les temps sont en train de changer et les femmes aussi. Et c’est bien !
Agnès Izrine
Le 22 juin 2023, Création mondiale, Cour de l’Agora, Festival Montpellier Danse.
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