Katerine et ses katerinettes
Danse. Avec «2008 vallée», le chanteur et Mathilde Monnier inventent une oeuvre chorale.


2008 vallée de Mathilde Monnier et Philippe Katerine au Centre Pompidou, grande salle, ce soir à 20 h 30. Rens. : 01 44 78 12 33.
Puis au festival Montpellier Danse du 5 au 7 juillet.


Du Petit Bal perdu dansé et filmé par Philippe Decouflé au récital dansé de Pascale Houbin, en passant par Guesch Patti qui commanda des solos à plusieurs chorégraphes, la danse a toujours entretenu un rapport affectif avec la chanson. En quittant le mime ou la simple illustration, les chorégraphes contemporains ont créé des espaces mentaux, des univers pour les chanteurs, loin des stéréotypes qui engorgent le hip-hop ou les crooners.

Il suffit de se remémorer Once, un solo d'Anne Teresa De Keersmaeker sur Joan Baez, ou Publique de Mathilde Monnier, justement, une pièce rock'n roll en diable(sse), en liaison avec la chanteuse PJ Harvey. La nostalgie inhérente à toute chanson déclenche la saudade de la danse et, en général, les deux font bon ménage.

De là à penser que Mathilde Monnier, directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier, jouerait la Katerinette – à la manière des Clodettes –, pour Philippe Katerine, on en reste médusé et plutôt heureux. Présenté à la Ferme du Buisson, et en ce moment à Beaubourg, avant Montpellier Danse en juillet, 2008 vallée, cosigné donc par la chorégraphe Mathilde Monnier et le chanteur Philippe Katerine, est une extension de son dernier album, Robots après tout, et du clip afférent.

Extrapolation. Les deux complices, rejoints par d'autres (les danseurs, la plupart issus de la formation E.X.E.R.C.E. mise en place à Montpellier, la scénographe Annie Tolleter, Eric Wurtz aux lumières et Dominique Fabrègue pour les costumes), ont écrit une pièce commune, où les danseurs chantent et où le chanteur danse. 2008 vallée est une extrapolation du disque. Monnier, qui a l'habitude de travailler avec de nombreux partenaires – philosophe (Jean-Luc Nancy), auteure (Christine Angot)... –, s'est mise au service de Katerine. Dès le début du spectacle, les danseurs s'amusent à jouer les choeurs, à rythmer des doigts et de la langue, à accompagner celui supposé être mis en valeur. Il y a beaucoup d'humour, de distance avec les mises en scène de shows et autres prestations scéniques.

Rayonnant. Les danseurs prennent un évident plaisir à exécuter les mêmes pas en même temps, à simuler des danses chorales. L'unisson n'est pas une habitude chez Monnier. Ici, elle l'assume, tout en le détournant avec un grand sourire. Car, ici, dans ce pays magique et sans heurt, les hommes sont heureux. Silhouettes noires ou tout de rose vêtus, ils habitent une planète bénie. Ils ont échappé au pire, comme le rapportent les paroles des chansons, notamment à Marine Le Pen, aux machines guerrières. Franchement, on passe une bonne soirée. L'association est fraîche, Katerine en sort rayonnant et simple.

Plaisir collectif. Au finale, une sorte de tsunami avale les danseurs-chanteurs sur le plateau. Aucun catastrophisme, aucun lyrisme. Le concert a bel et bien eu lieu et chacun a trouvé sa place. Tranquillement pop, en rose et jaune, le spectacle joyeux emporte l'adhésion du public. Monnier y a regagné un certain plaisir à chorégraphier la même chose pour tous. Katerine ne s'est pas désolidarisé du plaisir collectif, s'est même laissé emporter. Après avoir signé la Place du singe, dont elle se souvient car elle sait fort bien simuler avec une moquerie bienfaisante les choeurs et autres chorales, Mathilde Monnier rend service à Philippe Katerine qui lui-même se met dans la bande et prouve qu'il n'est pas si mauvais danseur.

Marie-Christine VERNAY
Libération
vendredi 19 mai 2006