Les chorégraphes Nadia Beugré, Sharon Eyal et Mathilde Monnier présentent leur nouvelle création dans le cadre de la 43e édition de Montpellier Danse.

Nadia Beugré, Sharon Eyal, Mathilde Monnier. On ne peut pas faire plus différentes, on ne peut pas rêver mieux pour affirmer que, oui, ça y est, Montpellier Danse, édition 43, est entré dans le dur, dans l’intense. Trois grandes chorégraphes, trois fortes personnalités, trois créations de la même trempe, assurément.

Autour de la communauté trans d'Abidjan
Ainsi, la danseuse et chorégraphe d’origine ivoirienne Nadia Beugré qui a créé à Montpellier il y a deux ans sa propre compagnie, Libr’Arts, présente-t-elle Prophétique (on est déjà né.es), autour de la communauté transgenre d’Abidjan. Né.es garçons, iels travaillent le jour dans les salons d’esthétique ou de coiffure, et la nuit s’épanouissent dans les clubs. Là-bas, on les appelle "les folles", invisibles le jour, reines la nuit.

Artiste sensible, soucieuse des marginalisés, des gracieux et des rêveurs, Nadia Beugré a partagé leur quotidien, aimé leur fantaisie, leur liberté et leur liberté, et souhaité témoigner de leur culture, mélange de coupé-décalé, de voguing, de délire… Au plateau, iels sont quatre, Beyoncé, Canel, Taylor Dear et Kevin Kero, avec aussi Acauã El Bandide Shereya et Jhaya Caupenne pour se faire les porte-voix prophétiques de nouveaux possibles issus des invisibles…

Une réflexion esthétique sur le sentiment
Autre fidèle de Montpellier Danse, la chorégraphe israélienne Sharon Eyal qui a fait ses classes à la Batsheva Dance Company auprès d’Ohad Naharin (dont on ne s’est toujours pas remis de la pièce 2019, présentée l’an passé!), avait précédemment exploré l’amour dans une mémorable trilogie : OCD Love, Love Chapter 2 et The Brutal Journey of the Heart. Il est encore question de sentiment dans Into the hairy (“À l’intérieur de la chevelure”), sa nouvelle pièce pour sept danseurs de sa compagnie L-E-V, qu’elle a imaginée avec son complice et co-auteur Gai Behar.

Peu diserte, Sharon Eyal laisse entendre qu’elle y creuse plus encore profondément encore son introspection émotionnelle dans l’idée, comme elle aime à le dire, de mettre "la peau de mon âme à nu". Dans cette entreprise elle s’est adjoint un nouveau partenaire : le producteur, compositeur et interprète gallois Lewis Roberts, alias Koreless, nouveau nom qui compte dans les musiques électroniques. Publié en 2021, Agor, son seul album à ce jour, est un bijou électro minimaliste, méticuleux mais incarné. On espère de sa part un écrin des plus novateurs, pour la gestique si singulière de Sharon Eyal, qui part du ventre, viscérale, tendue, follement exigeante… et tellement belle.

Sur la violence faite aux femmes
Enfin, Mathilde Monnier, qui a dirigé le centre chorégraphique de Montpellier pendant vingt ans puis le centre national de la danse à Pantin pendant cinq ans, revient au festival pour Black lights, une création construite comme elle aime à le faire en collaboration, en conversation. Cette fois, la base est une série manifeste diffusée sur Arte en 2021, H24, de Nathalie Masduraud et Valérie Urrea : 24 films courts d’après les textes de 24 autrices européennes, interprétés par 24 actrices d’exception, s’inspirant de faits réels pour témoigner de la violence faite aux femmes.

Parce que le corps est son sujet, la chorégraphe a retenu parmi ses vingt-quatre textes, neuf qui étaient à cet endroit particulièrement impactants. Pas exclusivement des corps abîmés, brisés, car ils savent être résilients au-delà des attendus. Au plateau, ces paroles seront portées par huit artistes, danseuses, chanteuses, comédiennes d’horizons et d’âges différents. Huit femmes pour faire corps, et faire sens. Montpellier Danse est entré dans le dur, dans le vif.


Publié le 22/06/2023 à 08:47
JÉRÉMY BERNÈDE
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