" J'ai parié, cette fois, pour la sensation et la danse " " Signé, signés ", une nouvelle pièce, est créée au Corum, demain, mercredi Première pièce de commande adressée à la chorégraphe, par le festival de Vienne en Autriche, été 2000, " Signé, signés " affiche une image toujours aussi rebelle de Mathilde Monnier, mais, surtout, plus joyeuse. On s'y surprend à rire de ce qui, hier, ne souffrait aucune critique. Signe des temps, cette ouvre qui se réfère à Cunningham, inaugure d'importants changements au centre chorégraphique national de Montpellier. Midi Libre : " Signé, signés " est la première création à comporter à la fois de la vidéo et du son fabriqués en direct, de la danse et des matériaux aussi divers que le latex et des cages d'oiseaux. C'est une révolution ? Mathilde Monnier : Je ne parlerai pas de révolution, mais d'évolution en douceur. Je ne crois pas aux changements radicaux mais, pour cette création, mon goût allait vers le multiple. De même qu'à l'intérieur du centre chorégraphique, je souhaite m'ouvrir à d'autres activités artistiques et travailler avec des créateurs venus d'horizons différents du mien. Tout cela était en germe dans des pièces antérieures et a fini par se concrétiser dans l'événement du " Potlatch " été 2000 au CCNM. Avec " Signé, signés ", le mouvement se précise et j'aborde d'autres champs que ceux déjà explorés, avec l'Afrique (" Pour Antigone " et " Nuit "), la maladie (" L'atelier en pièces ") ou la réflexion sur le social (" Les lieux de là "). Par effet de ricochet, " Signé, signés " innove aussi en se référant explicitement à Merce Cunningham. Deviendriez-vous plus théoricienne ? Mon rapport avec Merce Cunningham est déjà de l'histoire ancienne, mais j'avais besoin d'un retour à des sources plus pures, de façon à reconsidérer le trajet parcouru jusque-là. Quand j'ai côtoyé les studios de Merce à New York, grâce à une bourse obtenue après ma formation au CNDC avec Viola Farber, ce n'est pas tellement l'apprentissage de la technique cunninghamienne qui m'a le plus formée. Viola Farber qui avait été interprète dans la compagnie de Merce, proposait un enseignement fondé sur ses principes qu'elle avait fait évoluer. Mais, surtout, ce qu'il y avait d'extraordinaire à New York, c'était de constater à quel point une technique, qui était enseignée de manière rigide en France, baignait là-bas dans un mouvement artistique global, lié autant à des revendications sociales que politiques. Et c'est cela que j'ai conservé, plus que la théorie. Refaire du Cunningham est de toute façon impensable et n'a aucun sens pour moi. Vous refusez donc le pastiche et la citation. Que reste-t-il donc de Cunningham ? " Signé, signés " est avant tout composé de signes - ou de clins d'oil - en référence à Cunningham. Je les ai voulus très légers pour que chacun, dans le public, puisse les reconnaître à sa guise. La première partie - " Signé ", au singulier - parle de mon passé postmoderne en danse. La seconde - " Signés ", au pluriel - présente les imaginaires de quatre danseurs, leur histoire personnelle, la manière dont ils la vivent ensemble. Nous avons travaillé en collaboration et par improvisations successives. Des périodes de préparation prises dans l'urgence de dire et de faire, ont alterné avec des moments de mise à distance. Il ne s'agissait pas de dénoncer quoi que ce soit, mais de s'amuser de l'espace disciplinaire de la danse et du dressage des corps que l'on y opère, même en danse contemporaine. Tout est clairement écrit comme je l'ai toujours fait, mais j'ai parié, cette fois-ci, pour la sensation et la danse. Ce pari aboutit du reste à un renversement de l'usage. Après Pina Bausch, vous êtes la première chorégraphe à donner autant de place à l'imaginaire masculin. C'est un fait dû au hasard, car il devait y avoir deux danseuses qui se sont désistées. Mais j'ai trouvé ensuite intéressant de porter un regard féminin sur l'image de l'homme-danseur. Ce corps - objet à regarder, formaté par la technique, plutôt asexué et qui ne laisse aucune place au désir. On s'est amusé à en explorer diverses figures, à les retourner pour les interroger. Cela a donné lieu à des choses très intimes dont les danseurs ont aussi eu envie d'exposer l'absurdité. Sensibles et en recherche de valeurs signifiantes : il s'agit de nouvelles qualités requises pour les interprètes seuls, ou pour l'ensemble des acteurs du Centre chorégraphique ? Il n'y a pas de raison que les danseurs soient tout juste bons à danser et que l'on relègue leurs interventions dans quelque centre que ce soit, en tant qu'artistes responsables, au moment où ils arrivent en fin de carrière. Cela dit, le combat pour que les artistes participent aux décisions culturelles et de société, est encore à mener. Quand je vois que le CND (Centre national de la danse) envisage d'employer 40 personnes, et pas un seul artiste, je tombe des nues ! En tout cas, pour cette saison, les danseurs touchent un salaire supplémentaire pour leur travail de conseil, en faveur de l'évolution du CCNM, au sein de divers comités de réflexion. Je n'ai plus de compagnie permanente, car cela bloque les individualités. Mais il n'est pas interdit, pour autant, que chacun, à sa place, paye activement de sa personne !
Lise OTT
Midi Libre
Mardi 13 Mars 2001