Des guitares qui bandent
Mathilde Monnier offre une pièce très bien réglée pour sa première
installation dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes. La
chorégraphe, qui dirige depuis 1994 le Centre chorégraphique national
de Montpellier, ne joue pas une mise en scène facile pour espace
monumental. Sa scénographe habituelle, Annie Tolleter, signale
simplement trois espaces carrés gris et surélevés de tailles
différentes. A droite un cube noir sert de dressing aux treize
danseurs. Le carré central (le salon ?) rappelle le ring. Car les
danseurs se chamaillent puis s’étripent pour de vrai dans un combat à
mains nus : coups de pieds au cul, croc-en-jambe, cheveux tirés, baffes
dans la gueule, strangulation, fausse réconciliation, exhibition des
vaincus. Sur les deux autres carrés, plus petits (les chambres ?), les
corps se tiennent immobiles et font masse à droite, ils s’embrassent de
façon frénétique et adolescente à gauche. Un texte (de Stéphane
Bouquet) scandé par l’un de ces garçons (le comédien Micha Lescot)
rappelle justement les histoires de grands ados pas super bien dans
leur peau. « Je veux simplement baiser », hurle le garçon gracile à qui
veut l’entendre. Dans cette grosse fratrie un peu compliquée, le salut
vient du rock. La guitare électrique sert de totem, d’emblème et même
de pénis, elle réconcilie à minima, elle ouvre des espaces communs. Le
plateau se décloisonne, la danse se libère. Alone et frénétique, elle
dissipe les angoisses d’avant. Cette fin de pièce rappelle le Publique
de Mathilde Monnier dansé par neuf jeunes femmes esseulées mais
saoulées par la décharge de PJ Harvey. Sauf que dans Frère et Sœur
eRikM officie aux platines. Virtuose et un peu despotique dans la très
belle pièce de Monnier Déroutes (avec sa manie de difracter et
d’amplifier les bruits), il offre ici sa grâce électro. Au point
parfois de dissoudre un texte devenu (trop ?) périphérique. Mais la
proposition de Monnier est tout sauf accessoire. La chorégraphe ne se
laisse pas compter par la majesté du Palais. Un casse-tête avec son
plateau démesuré, son public éloigné dans une pièce qui exige la
proximité. En dépit des obstacles, Monnier projette ses aplats, règle
avec la même minutie les trajectoires (croisement, évitement, rapport à
la salle) et intéresse toujours lorsqu’elle éclaire l’échange (geste,
regard, caresse, baiser, coup). Loin du spectaculaire, le quotidien de
ces frères et sœurs, ni communauté, ni famille, nous donne envie de le
partager et de le rêver.
Frère&soeur, chorégraphie de Mathilde Monnier. Cour d’honneur du Palais des Papes, jusqu’au 27 juillet.
De Laurent Geffroy et François Olislaeger
TOC Magazine
vendredi 22 juillet 2005