On peste trop souvent, ici, contre la longueur excessive de certaines pièces à la substance trop mince, pour ne pas féliciter le Théâtre de la Bastille d'avoir composé ce menu équilibré : trois créations, trois chorégraphes qui ont trouvé la bonne distance pour dire ce qu'ils avaient à dire. De surcroît, ces oeuvres ont un petit air de famille qui donne une certaine unité à la soirée. Il y a dans les pièces de Georges Appaix une absence de prétention qui n'est pas la chose du monde la plus répandue, et qui lui attire d'emblée la sympathie. Erre de trois ne fait pas exception, qu'il danse lui-même avec l'épatante Michèle Prélonge et Marco Berretini. Presque pas de texte, pour une fois (il adore ça), mais d'amusantes études sur le rythme des claquements de mains ou de pieds, alternant avec des séquences dansées d'une écriture à la fois incisive et coulée. Humour, légèreté et vivacité, on ne s'ennuie pas une seconde. Après son consternant En attendant l'éclipse, maigre butin rapporté d'un voyage en Espagne et en Amérique du Sud, Hervé Robbe fait un peu remonter sa cote avec Sienne, un solo composé pour Nathalie Sembinelli. Elle est très jeune, rousse et joliment dodue, silencieuse comme un chat, sorte de petite Alice énigmatique surgie de l'autre côté d'un miroir. Sur de romantiques musiques de Zoltan Kodaly (le Duo pour violon et violoncelle, la Sonate pour violoncelle seul), elle arpente le plateau sur la pointe des pieds ou au contraire se livre, au sol, à des séries de mouvements insolites, ramassés, étirés, chastement voluptueux. On attendait avec curiosité les noces de la danse contemporaine et des claquettes : eh bien, voilà, c'est fait et fort bien fait par Mathilde Monnier, dans un duo intitulé Dimanche. L'art des claquettes, qui nous semblait jusqu'ici d'une virtuosité un peu démonstrative et sans arrière-pensées, s'enrichit, sans lourdeur, de toute cette " problématique du couple " qu'affectionnent nos jeunes chorégraphes : provocations, agaceries, complicités, tendresse. Violaine Vericel et Bertrand Davy y sont à la fois brillants et malins, parfaits.

Sylvie DE NUSSAC
Le Monde
21 Mars 1992