MATHILDE MONNIER Centre chorégraphique national de montpellier languedoc-roussillon Mar. 30 nov., mer. 1er, jeu. 2 déc. Les lieux de là 1. les non lieux reprise 2. dans les plis reprise 3. quelque part, quelqu'un création . à la tête d'une "institution" sans renoncer à la prise de risque qui fonde toute aventure de création Ce n'est pas un scoop : Mathilde Monnier dirige depuis 1993 le Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon. Prenant la succession de Dominique Bagouet, la chorégraphe a hérité d'un outil de travail comme beaucoup d'artistes sont en droit d'en rêver : un ancien couvent de 3 000 mètres carrés, les Ursulines. Pour sceller son implantation montpelliéraine, elle crée "Nuit" en 1994, en collaboration avec la plasticienne Beverly Semmes : extraordinaire diffraction de mouvement dans l'épaisseur sombre d'une danse acérée, qui s'achevait dans l'aveuglant éblouissement d'un halo blanc. "Que savons-nous encore voir ?", demandait alors Mathilde Monnier. Depuis lors, loin de s'assagir, elle a montré qu'un(e) artiste pouvait être à la tête d'une "institution" sans renoncer à la prise de risque qui fonde toute aventure de création. Mieux, les pièces suivantes sont venues fouiller en toute conscience des zones de trouble. "L'atelier en pièces" résultait d'une confrontation sans mièvrerie avec les douloureux silences de l'autisme et plaçait le spectateur en situation d'inconfort, tout comme "Arrêtez, arrêtons, arrête" mettait la danse à la rude épreuve des mots sans concession de l'écrivain Christine Angot. "Ce qui m'intéresse, c'est le processus mental de l'enfermement", disait à cette époque Mathilde Monnier, qui ajoutait vouloir "pointer ce que les êtres ont en commun, chacun dans leur monde, dans leur isolement." . pour qu'une certaine "folie" ose encore s'exprimer, librement Ne pas se laisser enfermer. Dans un style, un système, un lieu. Pour qu'une certaine "folie" ose encore s'exprimer, librement. Dans son ancien couvent, le centre chorégraphique de Montpellier n'est certes pas une forteresse blindée à toute influence extérieure. Bien au contraire. Tout au long de l'année, Mathilde Monnier et ses partenaires de travail multiplient les rencontres conférences, les cours réguliers et les ateliers d'expérimentation, les scènes ouvertes. Une ouverture qui se propage généreusement à d'autres tissus sociaux, notamment certains univers liés à la souffrance (milieu hospitalier, personnes autistes, malades atteints d'une pathologie grave, anciens alcooliques). "La qualité de la relation constitue la nature même de notre action vers les publics" affirme l'équipe de Mathilde Monnier. Rien que de très normal : il revient aux centres chorégraphiques d'assumer, à côté de la création, des missions fixées par un "cahier des charges". Mais on a pour cela, à Montpellier, des formules qui font mouche. Ainsi : "Il n'y a pas de projets de sensibilisation, il a surtout des projets sensibles". . comment être ensemble ? Ces quelques considérations n'auraient sans doute guère de pertinence ici, dans l'antichambre d'un spectacle, si l'on n'avait l'intuition que ce souci de partage, ce refus de l'enfermement, n'avaient leur traduction au cour même de la démarche de création de Mathilde Monnier. Et "Les lieux de là" en sont peut-être l'expression la plus radicale. En mettant en chantier ce projet conçu pour se décliner en trois étapes distinctes, pendant deux ans, la chorégraphe annonçait un "voyage polyphonique à travers des lieux utopiques". Cette formulation un brin emphatique n'avait-elle d'autre raison que de dissimuler la "modestie" du sous-titre : "journal chorégraphique" ? Car il s'agit bien de cela, au fond : un journal de bord, qui n'aurait pas de prime abord la prétention de "faire ouvre" mais plutôt de restituer le dépôt de quelques expériences de mouvement menées communément par un petit groupe de danseurs autour d'une question centrale : "comment être ensemble ?". Question aussi sourdement politique que simplement liée au semblant de familiarité d'une compagnie de danse. "J'ai toujours travaillé avec les mêmes gens, ils m'ont suivie, je les ai suivis, on s'est suivi. Et aujourd'hui quelque chose de ça se dépose sur scène", dit aussi Mathilde Monnier (1). Lorsque l'on est gourmand de danse, et que l'on est attaché aux noms qui la portent hors de la notoriété des seuls chorégraphes ; chacun des "interprètes" et collaborateurs des "Lieux de là" éveille une multitude de souvenirs. Dimitri Chamblas, Bertrand Davy, Herman Diephuis, Éric Houzelot, Joel Luecht, Michèle Prélonge, Eszter Salamon, Corinne Garcia et Julie Limont, mais aussi Seydou Boro et Salia Sanou, danseurs burkinabés qui participent, avec leurs propres créations, à l'émergence d'une danse contemporaine africaine ; Éric Wurtz aux lumières, Dominique Fabrègue aux costumes... Un compagnonnage fin, où les affinités ne sont pas soumises, mais librement consenties, et respectueuses des parcours de chacun. Tel est bien le "thème" qui traverse "Les lieux de là" : l'utopie en actes d'un "singulier collectif", qui ose poser la question de ce qui fait aujourd'hui "communauté" : ce sont des gestes de refuge, des liens de soudure mobile, des jeux de chaîne, des amas grégaires, qui manifestent le plus simplement du monde, et avec beaucoup d'humour, le dénominateur commun d'un espace où le collectif est lieu d'appui du singulier. . Quelque part, quelqu'un, l'absurde solitude de celui qui 'Les non lieux' et 'Dans les plis', les deux premiers relais de cette chorégraphie à étapes, sont venus attester qu'une telle quête n'a rien d'hermétique, mais que dans la simplicité sans ostentation qui la porte, elle touche au contraire une surface sensible, que la musique de Heiner Goebbels vient gaiement égratigner de ses lacérations sonores. La troisième partie des "Lieux de là", sobrement intitulée 'Quelque part, quelqu'un', prend notamment appui sur la poésie d'Henri Michaux. Aux figures choréiques des deux premiers volets, Mathilde Monnier entend extraire et opposer l'absurde solitude de celui qui, "expulsé, extirpé de la masse, s'empêtre les pieds avec une foule désormais invisible" et "cherche dans la figure du clown sa propre substance, une autre image de lui-même". (1) Propos recueillis par Christophe Wavelet, Mouvement n°5, été 1999

Jean-Marc ADOLPHE
Programme du Théâtre de la Ville
Novembre/Décembre 1999