La nouvelle chorégraphie de Mathilde Monnier ne retrouve pas la rigueur des oeuvres précédentes mais garde le même sens de la théâtralité. S'essouffle-t-elle déjà, la belle Mathilde ? On avait raffolé de Mort de rire, sa dernière création en collaboration avec Jean-François Duroure, en décembre 1987. On avait bien aimé Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt, sa première oeuvre à part entière, en février 1988. Voici la deuxième, présentée à l'issue d'une résidence de deux mois au Centre de production chorégraphique d'Orléans : A la renverse. Un titre provocant : non seulement on ne tombe pas à la renverse, mais on n'y trouve pas la nécessité, l'urgence que l'on ressentait dans les oeuvres précédentes. On y retrouve, en revanche, le sens théâtral aigu de Monnier et de son équipe dans les éclairages (Eric Wurtz), dans la bande-son (Christophe Séchet) et dans certaines images. Un homme, la tête en bas dans une petite cabine suspendue qui se balance, émet une litanie d'expressions relatives au corps humain : "Un pied dans la tombe... La langue bien pendue... Les murs ont des oreilles...", etc. De la pénombre émergent peu à peu des pans de murs en ruine, de formes diverses, percés d'une ouverture. Un metteur en scène, dans un fauteuil jaune roulant, donne des indications à un certain Claude, machiniste en salopette bleue, pour déplacer des praticables : "On va essayer autre chose... Le grand dans le coin, le petit à côté..." Les six autres danseurs, en pantalons et chemises ou bustiers ocre, marron, rouille, aident au déménagement ou prennent des poses. Une bougie sur la tête, le dénommé Claude parle au metteur en scène d'un "terrible événement" qui aurait eu lieu; "On a déjà trouvé douze cadavres, que l'on suppose être ceux d'acteurs et d'actrices de l'Opéra." Plusieurs fois, au cours du spectacle, il sera fait allusion à cette catastrophe, probablement un incendie. Les danseurs dansent, aussi. Une chorégraphie contrastée, très rapide ou très lente, jouant sur la crispation et l'abandon, avec de beaux portés cambrés, des chutes violentes, des attitudes de noyés ou d'anges foudroyés. Sont-ils des spectres errant dans leur mémoire? Parfois ils seront touristes, munis de sacs et d'appareils photos, visitant les ruines sous la conduite de Claude : "Mesdames et messieurs, il y avait sept tours portant chacune le nom d'un jour de la semaine, seule reste intacte la tour du Mardi..." Tantôt le groupe s'agglutine pour une danse d'ensemble, tantôt il explose; il y a beaucoup d'entrées et de sorties qui modifient sans cesse le nombre de danseurs en scène. Quelques gags (des serpillières attachées au bout du pied droit, les têtes encapuchonnées, une radio qui parle de fourmis aux mandibules très développées) ne parviennent pas à tirer le spectateur de la légère torpeur qui l'envahit. On ne comprend pas pourquoi les danseurs reviennent avec de nouveaux costumes, bizarres harnachements de toile blanche avec des oeillets métalliques et des bouts de ficelle un peu partout. De bons danseurs, un spectacle habile, assez mode, bien fait, mais qui laisse indifférent.
Sylvie DE NUSSAC
Le Monde
26 Avril 1989