Danser et écrire : deux raisons de vivre

Et quand écriture et danse se mêlent, c’est de la dynamite sur scène, surtout quand l’auteure se nomme Christine Angot et la chorégraphe Mathilde Monnier. Ensemble, elles présentent La Place du Singe, le mardi 13 mars au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles dans le cadre de FranceDanse Europe, un panorama de la danse contemporaine, tandis qu’Angot parlera de son œuvre la veille. Âmes sensibles s’abstenir !

« La question du bonheur n’est pas la même pour tout le monde. Ca c’est sûr. » Cette première phrase que Christine Angot (ré)cite dans La Place du Singe après avoir longuement balayé la salle du regard et s’être placée au centre de la scène, apparaît également en page 263 de son dernier roman Rendez-vous (1). Écrire sans pudeur les rapports incestueux qu’elle a vécus avec son père entre l’âge de 14 et 16 ans l’a poussée aux devants des médias, surtout à la sortie de son roman L’inceste, même si elle ne le décrit que dans les dernières pages du livre. Son écriture excessivement autobiographique est troublante par son honnêteté et dérangeante par sa véracité. C’est qu’elle ne mâche pas ses mots la môme Angot, et tout le monde s’en prend plein la gueule au passage : son ex-mari, ses amants, les personnalités connues et moins connues, les bourgeois, son père. Elle ne s’épargne pas non plus. Car si on peut qualifier son travail de narcissique, la force véritable de cet écrivain est son désir d’évoluer et d’aller le plus loin possible dans l’écriture de soi. Elle ne nie jamais l’action thérapeutique qu’elle entreprend à travers sa plume, tout en croyant avant tout dans la littérature, synonyme pour elle de vérité. Elle explique d’ailleurs dans L’inceste qu’« écrire n’est pas choisir son récit. Mais plutôt le prendre, dans ses bras, et le mettre tranquillement sur la page, le plus tranquillement possible, le plus tel que possible » (2). Fidèle à elle-même, Angot se présente nue face au public, s’auto-analyse et s’observe à travers l’œil de l’autre, comme elle le fait dans Sujet Angot, une mise en roman d’une lettre de son ex-mari, Claude. Polémique et interminablement discutable, le « sujet Angot » fascine. Débat à suivre donc avec Christine Angot, le 12 mars prochain, sous la houlette de Gilles Collard, directeur de la revue d’art et de littérature Pylône.

Reality Literature ?
Tout s’entremêle dans l’œuvre de Christine Angot, elle parle de La Place du Singe dans Rendez-vous, cite ce dernier dans la pièce, montrant de façon explicite à qui ne l’aurait pas remarqué que le vieux banquier du roman est également le bourgeois de la pièce. Le lecteur/spectateur se retrouve ou se perd entre réalité et fiction. J’étais d’autant plus troublée que j’ai visionné La Place du Singe et lu Rendez-vous à Montpellier, ville parmi les nombreux décors importants de la vie de l’auteure et où est planté le Centre Chorégraphique de la chorégraphe Mathilde Monnier. Expérience quasi surréaliste donc que d’entendre la voix de Christine Angot à travers le portable de Mathilde Monnier tandis que j’interrogeais cette dernière sur leur projet commun. Mais comment danse-t-on sur un texte ? « Sur un plateau », explique Monnier, « les danseurs sont en prise avec la musique, tandis qu’avec un texte, c’est plus une sorte de dialogue. Même si mon écoute est plus corporelle au début, j’entre dans le texte plus tard, sortant petit à petit de l’animalité, à travers l’humour et le chant. » Puis, il y a une chanson de Jean-Louis Murat, Qu'entends-tu de moi que je n'entends pas ?, que toutes deux chantent ensemble, « car il est essentiel de savoir ce que l’on entend de l’autre », ajoute Monnier.

Le récit décrit la bourgeoisie tout en étalant la vie des deux protagonistes. « Parler de soi est rare dans le milieu de la danse », reprend Mathilde Monnier. « Je n’aurais pas pu écrire sur moi-même, c’est plus intéressant quand c’est quelqu’un d’autre qui le fait. Une libération dans ce cas-ci ! Christine explique ce qu’est la bourgeoisie à ses yeux et offre une vue de l’extérieur. Moi j’ai grandi dans ce milieu et y ai passé plus de temps qu’elle. » Mais qui est le singe et a-t-il sa place dans la société ? « Le singe mime le bourgeois à la façon d’un clown, il se moque, c’est un peu comme le fou du roi, la bourgeoisie en a besoin. Il n’a pas sa place, sauf sur scène ou dans un zoo. »

La bourgeoise emprisonne, l’art libère
La scène est en effet une sorte de zoo avec un drapeau français et des tables que Monnier piétine et manipule dans sa chorégraphie. « Le drapeau représente les valeurs de la bourgeoisie et une certaine morale française qu’il véhicule. Les tables sont l’emblème de l’institution et de cette morale, mais il y a aussi la table de l’écrivain. » En poussant la table d’Angot, Monnier met en scène la fausse générosité du bourgeois – « cet acte hypocrite de donner et de reprendre. »

Dans La Place du Singe, Monnier et Angot dépassent la simple critique de la bourgeoisie et se dévoilent au public en tant qu’artistes et en tant que personnes. Une véritable confrontation entre création et thérapie. D’une part, le texte d’Angot fonctionne comme une bombe à retardement et résonne aux oreilles du public et de Monnier qui, d’autre part, se bat contre l’ensemble des contradictions décrites par l’auteure. C’est aussi leur propre vision de l’art qu’elles mettent en scène, sur papier et en question. « Être artiste pour moi », dit encore la chorégraphe, « c’est une manière de vivre. J’aurais été malade si je n’avais pas été artiste. C’est un peu une thérapie personnelle mais ce n’est pas un choix. On ne décide pas de grand-chose dans la vie. Quand j’étais petite, j’étais souvent malade, j’avais de l’asthme. Tout s’est arrêté quand j’ai commencé à danser. » Pour Mathilde comme pour Christine, l’art est par-dessus tout une raison de vivre. Bourgeois ou artiste, c’est un statut qu’on ne choisit pas. Et si l’un emprisonne, l’autre libère.