Mort sans fin
Pavlova 3’23’’ . Hantée par la disparition, la nouvelle pièce de Mathilde Monnier revisite la mort du cygne de Fokine
La création de Mathilde Monnier porte le nom d’une danseuse, Pavlova, et s’inspire du solo de trois minutes que Fokine avait écrit pour elle en 1907, La mort du cygne. On y voit la ballerine russe improvisant avec force et grâce sur l’idée d’un mouvement qui refuse de trouver un terme et de mourir. C’est peut-être parce que ce ballet moderne est empreint de liberté que la chorégraphe se l’approprie avec ampleur. Elle se penche ainsi sur la question de l’héritage et du renouvellement de la danse. Danse qui se déploie autour d’une figure centrale, celle du cygne, qui ne cesse de mourir et de renaître tout au long de la pièce.
Mathilde Monnier revisite ce légendaire solo en le plaçant dans un contexte contemporain. Elle a chargé les compositeurs Rodolphe Burger, Erikm, Heiner Goebbels, et Gilles Sivilotto de réécrire la partition de Camille Saint-Saëns, ouvrant autant de voies à l’interprétation. Annie Tolleter, sa scénographe attitrée, apporte une dimension très plasticienne avec une profusion d’objets et d’images qui font référence aux vanités dans l’art. La scène est bordée de chaque côté de sacs noirs en plastique tenus par une rampe qui s’élève et s’abaisse. Leur bruissement évoque à la fois des poumons qui respirent et les sacs qui enveloppent les macabés.
Mathilde Monnier passe le relais du rôle du cygne à chacun de ses interprètes, homme et femme, offrant ainsi neufs variations de cette même figure. Les danseurs en solo évoluent la plupart du temps au milieu de la troupe qui agit comme un corps de ballet, agonisant à répétition dans un flot décliné de gestes convulsifs. La mort et ses représentations sont placées dans une dimension collective.
C’est la danseuse I-Fang Lin qui ouvre la pièce en cygne noir comme si elle allait donner une conférence sur Anna Pavlova. Le cygne noir est ensuite chassé par un cygne blanc qui se débat alors qu’un homme assiste à la scène, absent et impassible. Un autre danseur ouvre sa séquence par un cri muet à la Munch et lutte contre l’agonie alors que la troupe lui tend en continu une série d’objets à la fois offensifs et réparateurs. Une danseuse tente de se hisser sur une paire de pointes, chante une chanson sur le mythe de l’artiste qui veut mourir sur scène et achève son solo à la façon d’un film d’horreur : spasmes démentiels et cri d’effroi.
Résister à une quelconque forme de disparition, réelle ou symbolique, est difficile. Les ailes du cygne ont bien du mal à être légères et les jambes qui tentent de se mettre debout s’effondrent. Mais tout n’est pas noir dans le monde de Mathilde Monnier. Le burlesque rode, la solitude finit par battre de l’aile, l’atmosphère s’apaise et surgissent des figures collectives de la tendresse.
La directrice du centre chorégraphique de Montpellier signe une œuvre profonde et très structurée qui donne lieu à de poignants moments. La mort se relève, se libère de ses fantômes, respire de l’air frais et les choses se transforment. Dans Pavlova 3’23’’ la danse veut rester en vie.
Anne LERAY