Pour le Ballet de Lyon, une chorégraphie inspirée de la glisse. L'ardoise magique de Mathilde Monnier Pourquoi lui adjoindre du Forsythe ? On est franchement lassé de voir le chorégraphe américain mêlé à toutes les sauces. Programme "mouvements" chorégraphies de Monnier, Forsythe, Brown, Paxton par le Ballet de l'Opéra de Lyon. Ce début de saison balletomane pose bien des questions. Après la création de Gilles Jobin au Ballet du Grand Théâtre de Genève (Libération du 12 septembre 2003), qui semblait refermer l'ère des soirées composites, on était presque convaincu que les ballets entreraient pleinement dans le processus de création avec un seul auteur. Et l'on peut se demander pourquoi il n'y a pas plus de chorégraphes en résidence dans ces grandes compagnies - à la fois pour créer mais aussi pour entretenir des répertoires souvent laissés à l'abandon. Combien de fois a-t-on vu de nouvelles pièces entrer au répertoire et en disparaître après quelques représentations ? Ebats alités. Bref, au programme du Ballet de l'Opéra de Lyon, la pièce de Mathilde Monnier Slide aurait suffi à faire une soirée. Pourquoi lui adjoindre du Forsythe ? On est franchement lassé de voir le chorégraphe américain mêlé à toutes les sauces, comme s'il était le garant de la contemporanéité du classique. On connaît l'attachement du Ballet de l'Opéra de Lyon à ce chorégraphe, qu'il invite régulièrement depuis 1986, et cela justifie qu'il continue à apparaître dans les programmes. Mais cela n'explique pas la mièvrerie de Double/Single, ébats alités dansouillés comme s'il s'agissait de vanter les mérites des matelas posés à même le plateau. A cela, on opposera le duo féminin qui ouvre le spectacle. Gémellaire, sororal, il joue astucieusement de toutes les combinaisons duelles tout en échappant au classique pas de deux. Emmanuelle Broncin et Julie Guibert y sont parfaites dans chaque articulation du buste, même si trop semblables. Revenons donc à la création de la soirée. Mathilde Monnier avait déjà donné une pièce à la compagnie avec Jean-François Duroure, Mama Sunday, Monday or Always, hommage assez décalé aux thrillers, au cinéma et au cabaret. Quelque quinze ans plus tard, c'est l'univers de la glisse qui l'inspire. Un plateau blanc lumineux est disposé sur la scène. Tous vêtus de blanc, jusqu'aux perruques et chaussettes, les interprètes sont de passage sur la page blanche pour y déposer parfois un solo, des portés toujours en équilibre précaire. La chorégraphe utilise les ensembles, les formations en ligne, pour mieux balayer, gommer les scènes comme sur ardoise magique. Jusqu'à ce que des projections vidéo livrent d'autres interprètes, les mêmes d'ailleurs, en virtuel mais colorés. Danse sur danse, corps sur corps, cette mêlée libère un solo rouge où une danseuse virevolte sur son propre visage. Puis le dispositif d'Annie Tolleter explose en panneaux soufflés. Quelques sauts à la verticale viennent contredire l'horizontalité de la pièce. Les marges noires qui entouraient le plateau blanc ont réintégré le dispositif : il n'y a plus de centre. Les lumières d'Eric Wurtz, musicales, chorégraphiées, du grand balayage à l'éclairage de la marge, la musique d'eRikm, pianistique, refermant le spectacle en l'ouvrant sur un possible concert de rock, sont aussi des partitions, à prendre séparément ou à lire avec la danse. Avec cette danse qui pèse au sol en chutes libres, qui s'amuse des grands écarts, Mathilde Monnier signe son ballet blanc. Affaire de choix. Quant au duo de deux grandes figures de la post-modern dance américaine, Trisha Brown et Steve Paxton, il est la gâterie du programme, le petit plus vraiment décalé. Ces deux géants, historiques et bien vivants, ébranleurs de certitudes, viennent rappeler, avec Constructing Milleseconds, un duo complice, que la danse est affaire de liberté, donc de choix et de décision. Ils l'ont dit sur les toits de New York des années 70, le répètent aujourd'hui dans l'écrin noir de l'Opéra de Lyon.

Marie-Christine VERNAY
Libération
Vendredi 26 Septembre 2003