Depuis sa rencontre avec l'Afrique, sa danse a changé : la directrice du Centre chorégraphique de Montpellier ne trouve plus d'intérêt aux prouesses du corps dénuées de projet esthétique ou philosophique. " Je ne pense pas que mes spectacles apportent à la danse quoi que ce soit d'essentiel. Je ne suis pas Pina Bausch. Je me contente d'être heureuse de faire ce que je fais en sachant où est ma place. Et elle n'est pas seulement sur scène, mais aussi à la tête du Centre chorégraphique de Montpellier, où je déploie mon énergie depuis sept ans. " Ton ferme, propos sans appel, Mathilde Monnier n'y va pas par quatre chemins. Fausse humilité ou grande lucidité d'une artiste enfin apaisée qui n'a plus rien à prouver ? Celle qui s'est fait une réputation d'intransigeante tout au long de quinze ans d'une carrière à succès est peut-être d'abord et avant tout une femme honnête. Lorsqu'en 1992, elle part en Afrique, où elle a passé une partie de son enfance, c'est, elle ne s'en cache à personne, pour recharger ses batteries. " J'ai réalisé que je fonçais droit dans le mur, avec des pièces qui accumulaient les belles formes, un point c'est tout, résume-t-elle. Je ne savais pas où j'allais, je me contentais de répéter ce que j'avais appris. C'est grâce aux danseurs africains que j'ai enfin accédé à la nécessité intérieure de ma danse, sa vérité profonde. " Exit les pièces comme A la renverse (1989), qui affûtait les corps sur du mobilier en mouvement, ou Face nord (1991), touffue comme la jungle de bambous qui lui servait de décor : elle les balaye d'un seul mot : " nulles ! " C'est à partir de Pour Antigone (1993), où des interprètes français et burkinabés, tous portés par une gestuelle abrupte, cohabitent dans une atmosphère dépouillée, que Mathilde Monnier se reconnaît pour ce qu'elle est devenue : une chorégraphe abstraite, amoureuse du mouvement et obsédée par une question : le sens profond de sa danse. " Il y a actuellement, dans le discours sur le corps, une complaisance nombriliste qui me fait peur, tant il fonctionne en circuit fermé, sans pensée sur le monde. Une danse sans projet esthétique ou philosophique m'est insupportable. " D'où une série de thèmes essentiels : l'individu et le groupe dans Les Lieux de là (1998), formidable exercice de pliage et dépliage du thème sur une musique d'Heiner Goebbels ; la sexualité du danseur dans Signé, Signés (1999), deux pièces courtes qui introduisent une Monnier nouvelle : plus légère, presque drôle, et surtout plus ronde dans le geste, bien loin de la danse segmentée, presque sèche, qui fit son label. D'où, aussi, un remaniement du Centre chorégraphique pour en faire un lieu de danse tel qu'elle l'a toujours rêvé. Mathilde Monnier dissout sa compagnie pour mettre en place un programme costaud d'aide aux jeunes chorégraphes. A 42 ans, elle " s'efface ", prend la tangente pour réaliser des projets atypiques. Premier exemple pour l'ouverture du festival Montpellier Danse : Rose, une commande du Ballet de Suède, dans laquelle la chorégraphe décortique les codes de la danse classique. Sans complexe ni forfanterie. Pour le simple plaisir de travailler du chapeau.
Rosita BOISSEAU
Télérama
Du 30 Juin au 6 Juillet 2001