Pour " Face Nord " qu'elle cosigne avec le musicien de jazz Louis Sclavis, la chorégraphe a dû revoir sa façon de travailler, oubliant la théâtralité pour un langage à la fois plus abstrait et plus urgent. Explications. On l'a découverte à Lyon en tant qu'interprète chez Michel Hallet-Eghayan. Sa blonde discrétion cachait une nervosité inquiète qui allait énerver ses propres chorégraphies. Elle co-signe tout d'abord avec Jean-François Duroure des pièces tendres à l'élégance légèrement désabusée et aux titres évocateurs. Pudique Acide, Extasis, Mort de Rire conjuguent la fraîcheur du style avec une écriture déjà serrée qui pèche toutefois par un excès de gadgétisation dans la mise en scène. Puis Mathilde Monnier poursuit seule son propos artistique. Elle déverse tout sur le plateau, comme si elle voulait ouvrir les vannes ludiques, tester le bien fondé des carcans qui avaient pu enserrer sa gestuelle. Cet élan, cette formidable générosité de Je ne vois pas la femme cachée dans la forêt ou de A la renverse, invité à la Maison de la danse, permettent d'approcher la verve de la chorégraphe. Si une certaine théâtralité vient parfois brouiller la clarté de la danse, Mathilde Monnier trace inlassablement ses face à face amusés avec le public, ses dérobades en diagonale, ses sursauts rageurs et ses adages rêveurs. A Lyon pour chorégraphier un duo de claquettes pour deux jeunes danseurs et mettre en scène Les malheurs d'Orphée un petit peu d'exercice de Darius Milhaud pour l'Atelier lyrique de l'Opéra de Lyon, elle présente Face Nord, invitée par la Maison de la danse. Ce spectacle qu'elle qualifie de " charnière " est également signé par le compositeur et musicien Louis Sclavis et son quartet. Lyon-Libération. Vous ne semblez pas très attirée par le jazz mais plus par des musiques de film ou de cabaret. C'était le cas pour la création que vous avez faite pour le Lyon Opéra Ballet " Mama, Sunday, Monday or always ". Pourquoi faites-vous une exception avec Louis Sclavis ? MATHILDE MONNIER . Ce n'est pas une commande mais une co-création. Le spectacle est un concert chorégraphique. Auparavant, Louis Sclavis avait signé des morceaux pour A la renverse et nous avions fait un duo Chinoiseries. La musique s'est faite en même temps que la danse, en deux mois. Il y a une sorte d'évidence dans notre rapport. Lyon-Libération. Le travail au quotidien avec les musiciens a-t-il changé votre façon de chorégraphier ? MM. Les musiciens prennent beaucoup de place. D'emblée je me suis intéressée à la façon de partager l'espace, visuel, sonore. Le décor, qui est comme un champ planté de roseaux, a été conçu en fonction de cette préoccupation. J'ai l'habitude d'avoir avec les danseurs un rapport intime, presque secret. Ici, ce n'était plus du tout possible. Les musiciens jouaient tout le temps et les répétitions étaient un véritable capharnaum. Lyon-Libération. L'écriture jazz procède-t-elle de la même manière que la chorégraphie contemporaine ? MM. C'est étonnant. Le jazz, surtout en France, a une image ringarde pour amateurs éclairés et barbus. Mais c'est une musique totalement méconnue, un secteur encore plus pauvre que la danse. Pourtant il y a de jeunes musiciens virtuoses et complètement novateurs. C'est incroyable, Louis Sclavis, qui est très connu à Paris et à l'étranger, ne l'est pas du tout à Lyon ! Ces musiciens ont la même façon de travailler que les danseurs " contemporains ". Ils ont la même liberté de piquer à droite à gauche, d'intégrer d'autres modes d'écriture, de faire une musique commune sans nier l'identité de chacun. Ils sont, comme nous, des auteurs et des interprètes. Lyon-Libération. Cette présence " live " ne stimule-t-elle pas le rapport danse-musique, qui a toujours tendance à s'enfermer dans les modes, de l'illustration du ballet classique et néo-classique au non rapport de l'école américaine ? MM. La danse aujourd'hui a tendance à négliger la musique. Il suffit d'écouter les choix musicaux cantonnés dans le lyrisme, dans le répétitif. Quand ce n'est pas de l'opéra, ce sont les voix bulgares. C'est excessivement pauvre et le travail de bande-son est très limité. Les danseurs sont bloqués, ils ont une oreille de leur propre corps mais pas de la musique. Cela tient beaucoup à leur formation. Dans Face Nord, je me suis dégagée de la théâtralité, des influences. Je me rapproche plus d'un langage abstrait.

Marie-Christine VERNAY
Libération
14 Janvier 1991