Cunningham, Monnier, Charmatz expriment des filiations chorégraphiques complexes et exigeantes .../... Mathilde Monnier, formée à la manière de danser de Cunningham par Viola Farber, donne à voir avec Les Lieux de là une tout autre ambiance. C'est du cru. Du premier jet sans ratures, d'autant plus brutal qu'il ne hurle pas, il énonce sans cris la geste du nouveau lumpenprolétariat : SDF, sans-papiers, sans rien. Sauf la colère. La musique d'Heiner Goebbels, interprétée par Alexandre Meyer, est un contrepoint magistral qui dit l'utopie, les flux ethniques, les hommes tous ensemble. Très en avance sur la réalité de la société. Décalage superbe entre cette jungle musicale et des corps qui s'auto-éjectent, filant droit s'encastrer la tête la première dans des cartons vides. Parabole de l'exclusion, qui fait penser, par les compositions de groupe, et les alignements, aux pièces des années 30 de l'Allemande Mary Wigman, ou de Martha Graham, dénonçant, à la même époque, la pauvreté américaine. Désintégration du corps social, rejet d'individus isolés, en attente. Vies qui s'effilochent. Sécheresse du trait au noir. Des interprètes, plus encore qu'à l'habitude, totalement possédés à rendre ce que le corps doit encaisser. Cette création, présentée comme les premières pages d'un journal chorégraphique, aura une suite en avril 1999, au Théâtre de la Ville.../...
Dominique FRETARD
Le Monde
1er Juillet 1998