Depuis " Nuit ", créée en 1995, Mathilde Monnier met le danseur au centre du spectacle. Dans cette pièce, travaillée en grande partie dans un studio obscur, les interprètes s'étaient livrés à leur propre nuit, réelle ou imaginaire. Dans le triptyque des " Lieux de là ", qu'elle achèvera à l'automne, elle donne de nouveau priorité au danseur et aux matières chorégraphiques. La première pièce, " les Non lieux ", créée à Montpellier Danse (Libération du 30 juin 1998), explore les relations entre le groupe et l'individu, le corps solitaire et la masse. Côté jardin, il y a le mou des cartons empilés les uns sur les autres, où s'encastrent les danseurs. Côté cour, c'est le dur de quatre blocs de murs entre lesquels les artistes disparaissent. La forte présence des ego lâchés contraste avec ces effets d'évanouissement. Les individus, qui s'éjectent de la partition commune, sont porteurs du refus de constituer un corps de ballet. A la fin de cette pièce, on s'interrogeait : la danse peut-elle encore croire dans le groupe sans qu'il s'agisse pour autant d'une tribu, et peut-elle faire exister l'individu dans le collectif ? Le deuxième volet, " Dans les plis ", que l'on peut découvrir en ce moment à Paris, y répond. La chorégraphe met à distance la notion d'auteur chorégraphe des années 80. Dans le même dispositif scénique - des couvertures ont remplacé les cartons pour d'autres SDF - d'Annie Tolleter, douze danseurs tentent de construire un espace à partager, à déplacer aussi. Tout commence par un magma qui grouille au sol. L'informe contre l'uniforme. Puis, non sans humour ni inventivité, la pièce décline le corps commun, de l'orgiaque à la chaîne de solidarité, en passant par une puissante mêlée. Comme chez Boris Charmatz ou Laure Bonicel, il s'agit de s'amuser avec les utopies liées au collectif, mais aussi de montrer où elles peuvent encore fonctionner. A savoir dans les plis (comme le titre l'indique), qui mettent en rapport les corps sans dessus dessous. C'est de ce magma, et non plus de la chorégraphie des ensembles, que surgissent des danses singulières, que l'individu apparaît dans son unique splendeur.
Marie-Christine VERNAY
Libération
8 Avril 1999