Éclats de femmes
Splendide nouvelle pièce de Mathilde Monnier, rigoureuse autant que frondeuse, Records fait advenir sur scène une intense constellation féminine mise en corps et en voix par six interprètes vibrantes.
Entrée en scène au début des années 1980, Mathilde Monnier – qui compte aujourd’hui une quarantaine de pièces à son actif – a joué un rôle majeur dans l’expansion de la danse contemporaine en France. Après avoir dirigé, de 2014 à 2019, le Centre National de la Danse (à Pantin), elle travaille depuis 2020 en résidence avec sa compagnie à la Halle Tropisme, épatant tiers-lieu de Montpellier.
Succédant à Please Please Please, pièce réalisée en collaboration avec La Ribot et Tiago Rodrigues, sa nouvelle création personnelle – Records – voit le jour en cet automne 2021 marqué par la reprise de la vie culturelle et une réjouissante effervescence subséquente. Présentée les 7 et 8 octobre au Théâtre de la Vignette, à Montpellier, en ouverture de la (très prometteuse) saison 21-22 de Montpellier Danse, la pièce se révèle tout à fait remarquable.
Elle a pour première particularité d’être interprétée uniquement par des femmes – au nombre de six : Sophie Demeyer, Lucia Garcia Pulles, Lisanne Goodhue, I-Fang-Lin, Carolina Passos Sousa, Florencia Vecino. Conçue par le plasticien Jocelyn Cottencin, la scénographie minimaliste et chiadée trace un cadre original teinté d’une légère étrangeté – comme une esquisse possible d’un monde autre.
Singularité vive
Sur le plateau, découpé en larges bandes, se détache, en fond de scène, un long panneau blanc délimitant l’espace et offrant (on le découvrira au cours de la pièce) de belles – et inattendues – possibilités d’expression. Au-dessus est suspendu un écran imposant qui diffuse des images en vidéo de ciel évoluant de manière presque imperceptible, du plus nébuleux au plus radieux.
Traversée par le souffle puissant du vent, un aria de Luigi Nono (porté par la voix aux stridulations profondes de la grande soprano Barbara Hannigan), un morceau météorique de The Comet Is Coming (excellent groupe anglais de jazz haut perché), des bruits distordus et les sons produits sur scène, la composition sonore – aussi dense que fluctuante – traverse des zones très contrastées et, toujours imprévisible, amplifie la singularité vive de l’ensemble.
Constellation chaotique
Les six danseuses apparaissent sur scène torse nu, seulement vêtues d’un pantalon bleu foncé et de chaussures de sport (aux couleurs différentes). Tout d’abord, elles s’approprient l’espace doucement, presque timidement, via surtout des postures allongées ou assises, tout en élégance déliée. Elles se dressent ensuite et se lancent ensemble dans une détonante action chorégraphico-musicale au(x) pied(s) levé(s), utilisant le panneau en fond de scène comme support de leurs énergiques frappes rythmiques.
Dans la (virevoltante) dernière partie, de plus en plus affirmatives, elles se déploient en une constellation chaotique, dont chacune occupe brièvement le centre à tour de rôle. D’invectives verbales en saccades physiques, elles manifestent une présence totalement incontrôlable jusqu’à la fin, survenant abrupte sous un ciel rougeoyant.
Tout au long de la pièce se développe une magistrale écriture du mouvement qui allie inséparablement netteté rigoureuse, tendue vers l’épure, et liberté frondeuse, projetée vers l’aventure.
Création : 7 et 8 octobre à Montpellier, Théâtre de la Vignette.
Prochaines dates : 14 et 15 octobre à Paris, Théâtre de la Cité internationale, 19 et 20 octobre à la Comédie de Valence.
Par Jérôme Provençal
Publié le 11 octobre 2021 à 14h59
https://www.lesinrocks.com/arts-et-scenes/pourquoi-il-faut-voir-records-de-mathilde-monnier-414962-11-10-2021/