A l'occasion du festival MontpellierDanse, les danseurs en formation du centre chorégraphique de la ville ont présenté un spectacle à l'énergie passionnée des premières fois. Qu'attendait-on de Multi-materials, chorégraphié par Mathilde Monnier pour les danseurs en formation professionnelle dans son centre chorégraphique de Montpellier ? Pour être franc, pas plus, pas moins qu'un spectacle dans lequel vingt danseurs désirent se montrer sous leur meilleur jour. Un peu barbant, mais drôlement sympa, comme on dit. Une sorte de bonne action. Vingt lascars des deux sexes, ébouriffés, sauvages, prêts à mordre même leurs ombres, ont eu vite fait de remettre les pendules à l'heure. Des débutants ? Dans une certaine mesure, oui, tant leurs galopades, leurs accrochages arc-boutés, les gifles qu'ils s'envoient sans sourciller, tant leur brouhaha hystérique ou rageur, leurs déséquilibres musclés, leur acharnement érotique, ne disent qu'une seule et même chose : que la danse, ce soir-là, s'était tout entière réfugiée, concentrée, dans cette meute de jeunes teignes, follement poussées par le désir d'être connues, reconnues, aimées. Mais feignant royalement de s'en ficher. Venant parfois rôder au ras des gradins avec la volonté à peine dissimulée de vouloir se saisir d'un spectateur comme d'une proie. Mais où donc Mathilde Monnier a-t-elle déniché de pareils phénomènes ? Venus de tous les points du globe, une même véhémence les soude. La même insolence à crier leurs vérités. Trois d'entre eux viennent des écoles des beaux-arts, un autre de la vidéo, aucun n'avait jamais dansé. Un autre encore, jeune agrégé de philosophie, a été heureux de trouver une formation ouverte à tous, sans limite d'âge. Il veut être danseur. Artiste, quoi ! Comme s'il y avait dans la sensation éprouvée le secret de la pensée. Inconscience féroce La figure principale de Multi-materials est la course qui ne s'interrompt jamais tout à fait, incarnant le fol espoir, éparpillé, de se lancer dans la vie, comme en témoigne cette fille qui a écrit sur son tee-shirt : "Demande emploi". Ils n'ont dansé que deux soirs. On sait que jamais plus ils ne montreront cette inconscience superbement féroce des premières fois. On se disait aussi, en les observant, que la danse réside peut-être dans cet élan premier qui tient encore du brouillon, tout en ayant la force de l'ouvre achevée.

Dominique FRETARD
Le Monde
Vendredi 28 Juin 2002