Ce spectacle créé en 93 dans l'ouverture vers l'Afrique vient d'y tourner " Pour moi, cette pièce a été un tournant ; le début d'une nouvelle manière de chorégraphier. Ca a été mon premier travail sur le sens, et non plus seulement sur la forme esthétique " se souvient Mathilde Monnier, parlant de " Pour Antigone ", une pièce créée dans la cour Jacque-Cour pour Montpellier- danse les 28 et 29 juin 1993. A cette date, Mathilde Monnier n'était pas encore officiellement désignée pour succéder à Dominique Bagouet à la tête du centre chorégraphique national de Montpellier. Cinq ans plus tard, c'est cette même pièce que le public pourra redécouvrir ce soir dans la salle Berlioz du Corum, désormais " allégée, moin théâtrale ". Dans les travées : Catherine Trautmann, premier ministre de la culture à se déplacer à Montpellier pour assister au festival de danse, dix-huit ans après sa création. La nouvelle représentation montpelliéraine fait suite à une reprise de la pièce pour une grande tournée, accompagnée de stages importants, qui s'est déroulée durant tout le mois de mai dans six pays d'Afrique de l'Est : " Pour des raisons que j'expliquais tout à l'heure, j'avais une dette envers l'Afrique, je devais leur rendre une pièce " estime la chorégraphe. " La montrer en Afrique était notre souhait le plus absolu " renchérit Salia Sanou, danseur africain qui découvrit la danse contemporaine en dansant cette pièce, puis est resté travailler à Montpellier. " En fait, si on prend en compte les voyages préparatoires effectués par Mathilde Monnier en Afrique, l'aventure de cette pièce dure depuis huit ans. Ce n'est pas un spectacle de passage " poursuit cet artiste burkinabé. " Lors de la tournée, nos amis de là-bas étaient avides de voir ça, pleins de questions. En fait cette pièce a fondé l'idée même d'une danse contemporaine africaine. Jamais le concours continental de Luanda n'aurait pu voir le jour sans cela. " Mathilde Monnier n'a pas oublié, elle, l'incompréhension rencontrée à l'origine : " Beaucoup de gens pensaient qu'on allait en Afrique chercher de beaux corps noirs qui sautent bien. Et ils s'attendaient à une danse mêlée, à mi-chemin des formes européennes et des formes africaines. Les esprits n'étaient pas encore prêts à recevoir la danse africaine d'aujourd'hui comme un art plein et entier, méritant sa vraie place. " Plus qu'un métissage (ce café qu'on mélange avec du lait pour faire du café au lait, boisson très moyenne), il s'agissait d'un mix, créateur d'une forme supérieure et entièrement nouvelle. " Ce fut une rencontre au-delà de tout ce qu'on peut penser " assure Salia Sanou, le danseur africain : " Plus qu'une juxtaposition, plus qu'un mélange, plus qu'un métissage. En nous décalant complètement, cette expérience à réveillé en nous une conscience de nous-mêmes ; nous nous sommes regardés différemment, et nous avons trouvé à notre propre danse une valeur que nous ne soupçonnions pas ". On en connaît le résultat : ce sont les pièces passionnantes, farouchement africaines et totalement modernes à la fois, désormais créées de leur côté par les danseurs burkinabés restés aux Ursulines. D'ailleurs, si on renverse l'angle du regard, " pour les africains, on était des vraies bêtes curieuses " blague Mathilde Monnier à propos des premières séances de travail ensemble. C 'est sûr que d'un point de vue africain, danser en silence, c'était un style qui déménageait. N'empêche, un processus de lente imprégnation débutait. Difficile à définir. Esther Salamon, déboulant de Hongrie à peine ex-communiste, arrivait elle aussi chez Mathilde Monnier pour cette pièce : " Voir les africains danser m'a beaucoup questionnée. Pour le thème de la pièce, on savait que Mathilde cherchait en Afrique à repousser les stéréotypes du mythe d'Antigone. Mais physiquement, eux amenaient une énergie chargée, pleine de symboles, moins formelle. " " Tu étais très académique. Je suis sûre que l'Afrique t'a aidée à dépasser cela " tranche Mathilde Monnier. Celle-ci avait souhaité se déstabiliser dans cette aventure. Aujourd'hui, C'est avec un sentiment de plénitude, qu'elle repère " ce rapport au monde moins volontariste, cette perception du temps plus profonde, plus spirituelle, plus philosophique, moins accrochée à quelque chose comme nous le sommes, en Europe ", que l'Afrique lui a apportée.
Gérard MAYEN
Midi Libre
4 Juillet 1999