Mathilde MONNIER . Réhabiliter le plaisir
Peu avant la création de Publique, en ouverture de Montpellier Danse,
la chorégraphe s'explique sur son exploration de « l'en-commun », qui
passe aujourd'hui par la question de l'empathie.
Biographie /
Formée au CNDC d'Angers par Viola Farber, Mathilde Monnier danse entre
1983 et 1985 avec François Verret. Simultanément, elle crée Pudique
Acide avec Jean-François Duroure et fonde avec lui la compagnie
Monnier-Duroure. A partir de 1988, elle chorégraphie seule : A la
renverse, Sur le champ, Face Nord, Pour Antigone, ainsi qu'un duo avec
le saxophoniste Louis Sclavis. Fin 1993, elle est nommée directrice du
Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon, où
elle succède à Dominique Bagouet. Elle y développe un travail qui
interroge les figures de l'autisme et de la folie (Bruit blanc,
L'Atelier en pièces), se frotte à l'écriture de Christine Angot
(Arrêtez, arrêtons, arrête), et questionne « l'en- commun » (Les Lieux
de là, Potlach-dérives), tout en dialoguant avec le philosophe Jean-Luc
Nancy (Dehors la danse, aux éditions Rroz).
Entretien
Votre pièce précédente, Déroutes, a pu sembler en partie hantée par les
signes avant-coureurs de l'invasion de l'Irak. Aujourd'hui, alors que
nous réalisons cet entretien, l'actualité nous apporte ces images de la
décapitation d'un otage américain. De façon moins dramatique, en
France, le festival de Cannes s'ouvre sous la pression du mouvement des
intermittents, qui dure toujours et auquel vous êtes évidemment
sensible. D'une façon générale, alors que vous êtes en création,
comment le dehors, ou ce que vous percevez, pénètre-t-il l'espace du
studio de répétition ?
« Je me méfie beaucoup d'une
instrumentalisation immédiate de l'actualité. Cela joue beaucoup sur
des intuitions ou des sensations. Il s'agit de laisser entrer des
images, des choses qui touchent particulièrement, sans essayer de les
capter ni de les thésauriser. Il faut laisser travailler le temps. Si
l'on évoque le contexte particulier de Déroutes, dont les répétitions
ont eu lieu alors que se préparait le conflit en Irak, le climat
extrêmement lourd d'une certaine morosité d'avant-guerre a été beaucoup
plus important que ce que je croyais ; comme à mon insu. Donc, on est
sensible à une actualité ; il y a des choses qui se
passent en
nous, il y a des modifications qui ne sont pas seulement des
modifications d'humeur, mais des modifications réelles de perception.
Pour ma part, je laisse les choses m'arriver sans être forcément en
réaction immédiate à l'actualité.
Cet entretien est réalisé
alors que vous sortez tout juste d'un moment de répétition, à quelques
semaines de la création de Publique. Concrètement, sur quoi venez-vous
de travailler ?
« On est présentement sur un moment un peu
difficile sur lequel on accroche, il y a quelque chose de très
laborieux (au sens d'artisanal) dans le sens du travail : il faut
reprendre, refaire. Il faut accepter les difficultés, faire avec, les
dépasser ; ces moments de "tricotage" sont très importants. C'est un
travail d'accrochage... Qu'est-ce que l'on accroche à chaque moment de
la répétition, qu'est-ce qui s'accroche, est-ce que les choses vont
tenir... et essayer de comprendre ensemble pourquoi une chose ne tient
pas...
Les termes d'« accroche » ou d'« accrochages » peuvent
évoquer le regard, l'exposition. Cela a-t-il à voir avec des images, et
si oui, à quel moment décidez-vous d'en suspendre la formation ?
« Je travaille très peu sur les images, ou alors ce sont des images en
mouvement, jamais des images fixes. Ce qu'un spectateur pourrait
interpréter comme une image, est pour moi une immobilité ; quelque
chose qu'on est arrivé à fixer et qui s'apparenterait à un travail sur
l'image. Je préfère parler d'immobilité en mouvement ; comment il y a
toujours du mouvement en continu, comment existent des écarts entre les
choses. L'image elle-même fonctionne dans l'histoire de l'écart. En
fait, jusqu'où on peut tenir l'écart, jusqu'où l'écart modifie même
l'image ?
Depuis que vous avez pris la direction du Centre
chorégraphique de Montpellier, c'est-à-dire à partir du moment où on a
confié à votre singularité une responsabilité publique, une question
semble traverser tout votre travail, celle de « l'en-commun », à
travers certaines figures de l'exclusion et de la communauté -
l'autisme, la séparation, l'altérité et la quête d'une soudure... A
l'approche de la création de Publique, la question est-elle celle d'un
« en-commun » possible d'un regard, d'une perception « publique » sur
la danse et sur une écriture contemporaine ?
« Il s'agit ici
de "l'en-commun" avec le public ; essayer de trouver dans l'espace du
plateau l'espace de l'empathie dans la danse : existe-t-il, à quel
endroit est-il perceptible, sensible et appréhensible ? C'est un
"en-commun" qui se joue en profondeur, presque physiquement.
Jean-Marc ADOLPHE
Mouvement
juillet 2004