« La danse nous donne confiance en nous »

La vie est faite de première fois. Même pour une chorégraphe aguerrie. Mathilde Monnier s’attelle ainsi à une mise en scène d’opéra, répondant à une commande du compositeur allemand Heiner Goebbels. « Ce n’est pas du tout la même chose que de monter une pièce chorégraphique sur un compositeur comme je l’ai fait avec Ligeti. Cela demande un travail musical approfondi, une investigation énorme et nouvelle. Il faut comprendre comment la musique est structurée et la décrypter » explique la directrice du centre chorégraphique de Montpellier, non sans avouer tranquillement que pareil projet inédit a de quoi faire « peur ».
L’opéra Surrogate Cities est une réflexion sur la ville et ses habitants. « Il s’agit de se demander jusqu’où va la ville, est-ce mon quartier , ma rue, comment je la regarde, comment je me l’approprie ? S’il y a aujourd’hui un développement monstrueux des villes, on peut encore être en accord avec elles » estime la chorégraphe. Nourrie par les perceptions de la population urbaine, la création mettra à contribution une foule d’amateurs berlinois. « Le chef d’orchestre Simon Rattle a pris la direction du Philharmonique à condition qu’il y ait ce genre de projets pédagogiques ».
Mathilde Monnier a ouvert son chantier de recherche à domicile, avant de partir le finaliser dans la capitale de la RFA en 2008. « Ici, le rapport à la ville est paisible. A Berlin, ça va être différent ».
Pour les 150 Montpelliérains de tous les âges engagés dans cette recherche, il s’agit aussi d’une première fois. « Il y a plusieurs générations, tout le monde est au même niveau. Ils forment différents groupes humains selon leur âge et leur activités, censés représenter différentes couches sociales ».
Lundi dernier, le studio Bagouet accueillait une séance de travail avec des  enfants de CM1 et CM2 de l’école Saint Jean de Cornie. Leur « maître », qui n’est plus à convaincre des bienfaits pédagogiques de l’art et de la danse, n’a pas hésité à s’engager avec ses élèves. « Ils ont une double mission, participer au travail de Mathilde et comprendre sa démarche. Que ce soit en géométrie ou en grammaire, la danse intervient dans l’acquisition des compétences scolaires. Cela change aussi le rapport au savoir. Ils voient que je cherche avec eux. L’adulte n’est plus le seul qui sait, le maître n’est plus intouchable » observe Thibaud Kaiser, qui est aussi parvenu à intéresser la totalité de ses jeunes élèves à Kafka et Shakespeare. C’est pas rien…
Suspendus aux explications et aux directions avancées par Mathilde Monnier, les enfants sont sensibilisés à la danse, à la musique, à l’espace, à l’écoute en groupe.
Autant dire qu’ils raffolent de cet exercice artistique à la fois sérieux et ludique, activant leur imaginaire. « La danse nous donne confiance en nous. On a plus de concentration en classe. Et on sera plus mûrs pour arriver au collège »  ressent Agathe. Eloïse, impressionnée, ne tarit pas d’éloges. « Mathilde est super connue, on est éblouis et très contents de travailler avec elle ». Idem pour Raphaël. « C’est passionnant. Tu es avec quelqu’un qui est célèbre, tu ne lui arrives pas à la cheville ». « On n’est pas complètement libres, mais un peu quand même » ressent Andy. « Mathilde inverse les choses de la ville. Dans la vie on marche vite, on ne fait pas attention aux autres. Là on prend le temps, ce sont des petites villes, pas une mégalopole » analyse Elsa.
« Les enfants ont le regard plus bas que nous, comment ils se représentent la ville à leur échelle ? Ils ont 8 ou 9 ans, leur imaginaire n’est pas saturé par la télé. Ils ont une vraie ouverture ». Mathilde Monnier se régale de la réceptivité  et de l’acuité des enfants. « C’est magnifique ce que vous faites » leur lance-t-elle.
Qu’apporte à une artiste qui n’a jamais évolué dans une tour d’ivoire, cette collaboration avec le grand public ? « C’est sur l’humain que ça se joue. Ce n’est pas acquis, ils se posent beaucoup de questions. On les voit se transformer. Ce qui donne lieu à des surprises incroyables. Cela se joue sur la révélation. Les professionnels on les connaît et on les engage pour cela. Là on voit surgir les choses. Il y a des enfants qui pourraient faire du cinéma ».

Anne Leray
L’hérault du jour
15/11/07