Dans L'Atelier en pièces, la chorégraphe s'attache à étudier comportements et attitudes de malades mentaux. Sensible et captivant. Le Festival d'Avignon accorde une place importante à la danse qui, cette année, est officiellement présente en sept lieux, avec onze spectacles pour un total de soixante et onze représentations. C'est Mathilde Monnier, directrice du Centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon, qui a ouvert le feu mercredi au gymnase Saint-Joseph avec L'Atelier en pièces, une étonnante étude du comportement des malades mentaux. Dès son arrivée en 1993 à Montpellier (où elle a succédé à Dominique Bagouet), la chorégraphe a commencé à observer les patients de l'hôpital psychiatrique de la Colombière, et a mis en chantier cet " Atelier " créé il y a trois mois à Brest, avec sept danseurs de son centre et un jeune autiste, Benjamin Massé. Celui-ci est momentanément remplacé en Avignon par le comédien Mathias Jung du TNS, ce qui ne change l'expérience ni dans la forme ni dans l'esprit. La chorégraphe a réussi une ouvre captivante sur un sujet très délicat (déjà abordé avec succès par Florence Faure et Serge Campardon, et dernièrement avec plus ou moins de bonheur par William Forsythe). La mise en condition du public est déjà remarquable. Le spectacle se déroule dans une grande pièce rectangulaire aux murs et au plafond de toile blanche, avec des ouvertures sur chaque côté. Une scénographie d'un blanc pur et clinique imaginée par Annie Tolleter. Les spectateurs sont assis sur deux rangs, le long des parois. Et, dans leur dos, commence par se dérouler une inquiétante ronde de personnages étranges, blanches visions fugitives, tandis qu'un garçon balourd, portant lunettes noires et casquette bleue, court lui aussi à l'extérieur de la chambre en débitant des mots inintelligibles ou des bribes de phrases ("il est devenu complètement fou") dix fois répétées, dans un environnement sonore onirique, où les mots et les sons forment un langage nouveau conçu par le musicien David Moss. EXCELLENTS DANSEURS Les personnages, de blanc vêtus, entrent en scène, regards fixes, totalement introvertis, et chacun se livre à sa petite lubie, tapi dans son univers. Tous semblent plus ou moins atteints de troubles mentaux mais tous sont d'excellents danseurs comme on peut en juger à leur énergie et à leur technique remarquable. On admire l'extraordinaire invention de la chorégraphe et de ses interprètes, car ceux-ci ont certainement pris une part importante à la création, tant ils semblent faire corps avec leur personnage et tant leur concentration est profonde. Les quatre garçons (le comédien Mathias Jung et les trois danseurs) sont tous extraordinaires Joël Luecht et sa boule, Herman Diephuis qui nous fait frémir en jouant dangereusement avec des verres et Luis Ayet, bouleversant dans sa tentative de communication avec la touchante Corinne Garcia. Rita Quaglia surprend aussi par la force de sa concentration. MANIES Leurs manies sont nombreuses et variées. Elles n'amusent pas, elles troublent. On est touché par la beauté dramatique des gestes incohérents (pour nous) des malades dans leur solo et par la force de certaines images dans les duos, car le passage entre folie douce et danse pure s'effectue sans heurt, avec naturel. Cette création intelligente et originale fascine le spectateur dont l'attention est toujours sollicitée. Mathilde Monnier ne cherche ni à comprendre ni à expliquer. Elle observe seulement ces gens enfermés dans leur mystère et qui ne s'expriment que par le mouvement, et transpose ce qu'elle voit avec une sensibilité qui ne peut laisser personne indifférent.

René SIRVIN
Le Figaro
12 Juillet 1996