Sexuel et singulier, le spectacle de Mathilde Monnier explore les corps jusqu'à l'obscène. Interview d'une chorégraphe qui convoque perroquets et moineaux sur scène, et met les danseurs à poil. Mathilde Monnier dirige le centre chorégraphique de Montpellier. Elle a grandi en Afrique, étudié la danse en Alsace et à new York chez Merce Cunningham, puis avec Viola Farber. Depuis, elle stimule les facultés des corps intrépides de ce monde. D'où vient " Signé " (au singulier) ? C'est une commande de Vienne (Autriche). Ils m'ont proposé de travailler sur Pina Bausch ou sur Merce Cunningham. L'abstraction de Cunningham m'inspire plus. Comment avez-vous travaillé sur les techniques de Merce Cunningham ? Je me suis retournée sur ma propre histoire, très imprégnée de cette technique, en revisitant ces notions d'abstraction et de non-intention dans le mouvement. Chez Cunningham, il n'y a pas un mouvement plus beau qu'un l'autre. C'est l'énergie qui rend un geste plus ou moins abstrait ? Oui et la question se pose de savoir comment gérer cette énergie, ce que nous appelons l'intention dans le mouvement, l'accent final, la musicalité. Il s'agit de penser la danse en tant qu'abstraction. Cela donne une grande liberté de regard. J'essaye de capter à quel endroit dans le corps tel mouvement est abstrait ou ne l'est pas et pourquoi soudain on donne une intention, un lyrisme. La scénographie est-elle axée sur Cunningham ? vous dites : " Pour la musique, je m'en remets aux oiseaux ? " Oui. Des oiseaux vivants seront sur le plateau. Je vois Cunningham comme un oiseau, sa danse est nourrie de la façon dont bougent les oiseaux. " Signé " est un poème avec des matières de danse qui s'articulent les unes aux autres. `L'espace de " Signés " au pluriel est différent. C'est vrai, nous sommes sur un large panoramique avec un morceau d latex très long tiré à la verticale. Qu'y a-t-il de plus dans " Signés " (au pluriel) ? Le premier " Signé " explore ce qui est en dehors de moi, le travail de quelqu'un d'autre. Alors que " Signés " aborde un dedans, plus compliqué car, justement, je suis dedans. Un dedans de vous uniquement ? De moi et peut-être de chacun. Ce que nous explorons tourne beaucoup autour de la sexualité, qui est le plus au-dedans par rapport à ce dehors. Comment l'obscénité survient-elle dans la danse, dans la façon dont on bouge, dont on s'expose en permanence. Ce sujet est peu courant dans la danse. Il est rarement posé et pourtant l'exposition du corps y est permanente. Les danseurs sont la plupart du temps à moitié à poil dans des positions pas possibles. On ne sait plus ce qu'on trimbale, on est dans une vulgarisation, une non-représentation, sans codes ni limites. On ne se rend plus compte si c'est quelque chose de sexuel ou pas. Parfois, cela passe seulement par le regard de l'autre, l'absence d'un regard ou la précision d'un regard. Je suis très pudique et il y a une énorme pudeur dans la danse en général, alors qu'on a l'impression qu'elle se donne dans une grande liberté. Les jeunes chorégraphes y sont peut-être plus sensibles. Boris Charmatz serait le plus proche avec Con fort fleuve. C'est un spectacle souterrain, un trajet avec une tension permanente, magnifique. Qui vous intéresse aujourd'hui en danse ? Robin Orlyn est une belle découverte ; Je suis très touchée par cette femme car nous avons des choses en commun, comme l'Afrique. Elle a une vision sans complaisance sur ce continent que l'on retrouve chez très peu de gens. Elle ne joue pas le côté Afrique esthétique qui m'énerve car c'est une fausse réalité. Et puis elle a un vrai univers poétique.
Virginie YASSEF
Jalouse
Mars 2001