Pas mal dans le genre
La haute voltige camp d’ALAIN BUFFARD et l’inquiétante escouade unisexe de MATHILDE MONNIER ont mis en danger la danse et le public à Montpellier. Parfait.
La danse qui n’oublie pas son vécu, c’est aussi cela la force d’un festival. En mettant Dominique Bagouet au cœur de cette édition, Jean-Paul Montanari, directeur de Montpellie Danse, a vu juste. Grâce à Une danse blanche avec Eliane, solo endossé par Grégory Beaumont, et à l’étrange F. et Stein réinterprété par Christian Bourigault, deux solos de Bagouet réchauffèrent nos âmes transies. Dans la foulée, une journée entière était consacrée à « Ce que le sida a fait à la danse, ce que la danse a fait du sida ». Des interventions de belle tenue, entre émotion et analyse, pour parler des années 80 et 90 dévastées par le virus. Un seul regret : la faible assistance. Mais où étaient donc tous ces professionnels qui, le soir même, se pressaient à la première de Mathilde Monnier ?
Alain Buffard avait pour sa part pris quelques heures sur son emploi du temps pourtant surchargé pour suivre ces débats. La veille, on découvrait (Not) a Love Song, sa tragicomédie musicale camp. Soit un quatuor de choc, Vera Mantero, Claudia Triozzi, et Miguel Gutierrez accompagnés du musicien Vincent Ségal. Deux stars vieillissantes, quoique sublimes, un déluge de citations musicales, de James Brown à Lou Reed, de Massenet à Nina Simone pour jeter un peu plus le trouble. La voix, chantée plus que parlée, devient l’instrument de ces métamorphoses incessantes : à ce jeu de haute voltige, Mantero réussit le hold-up parfait, son All Tomorrow’s Parties version fado étant juste sublime. Gutierrez, un New-Yorkais, est la découverte du festival. On peut ne pas aimer la vision des femmes – même fatales – de Buffard, mais on doit lui reconnaître un sens de la mise en scène sans égal en France. (Not) a Love Song, érudit et tragique, ressemble au juke-box de rêve de nos années YouTube. On souhaite à cette odyssée transgenre un peu plus que quinze minutes de gloire.
De la rivalité mimétique chez Buffard, on passe à l’unisson, concept pluriel qui se conjugue toujours au singulier démultiplié et désigne une « forme très repérée dans l’histoire de la danse et de la musique », nous dit Mathilde Monnier en préambule de Tempo 76. Œuvre de contraste avec 2008 Vallée, où danse et musique se prêtaient à un apprentissage réciproque, Tempo 76 met en scène un groupe de neuf danseurs dans un décor de verdure. L’unisson règne d’abord entre la chorégraphe, ses interprètes et la scénographe, Annie Tolleter. Sur un sol recouvert de bandes de gazon, aspiré en son centre par un mur noir, les danseurs reproduisent ensemble gestes simples ou lignes complexes, tout au plaisir du surgissement de l’imprévu et de ses dérèglements en cascade.
Unisson oblige, les danseurs défient le genre et l’appartenance sexuelle en revêtant successivement uniformes de collégiens, pantalons noirs-cravates, kilts et chemises colorés. Unisexes ou sexes unis par la grâce du costume, les mouvements jouent eux aussi de l’effet miroir pour se répondre en écho, et l’on assiste à la propagation de la détente ou de l’angoisse. Les cris, chuchotements et grognements répondent à la musique de Ligeti pour nous plonger dans une nature inquiétante où le sol respire et se soulève, par mottes entières. Du rire aux larmes, l’atmosphère se fait crépusculaire : Tempo 76 résonne comme un avertissement.
Fabienne Arvers et Philippe Noisette
les inrockuptibles
10 juillet 2007