La dernière des " rencontres exceptionnelles " d'Avignon se fait avec Mathilde Monnier et Viola Farber Après l'enchantement absolu de la soirée consacrée à Daniel Larrieu, Mathilde Monnier clôt le cycle des " rencontres exceptionnelles " avec une formule originale : elle a invité l'Américaine Viola Farber, danseuse, chorégraphe et pédagogue hors pair, qui l'a particulièrement marquée (elle a été l'une des grandes interprètes de Merce Cunningham), à concevoir et partager avec elle un spectacle basé sur l'amitié et le respect mutuel, sur la mémoire mais aussi sur le présent. Belle et jeune encore sous ses cheveux gris coupés très court, Viola Farber a participé à l'entretien. _ Mathilde Monnier : " J'ai travaillé avec Viola lorsqu'elle dirigeait le CNDC d'Angers, en 1981 et 1982 _ en fait, je l'avais rencontrée auparavant aux Etats-Unis, je savais qu'elle allait venir à Angers et c'est beaucoup pour cette raison que je me suis présentée à l'audition du CNDC. Définir son enseignement n'est pas facile, car le bénéfice qu'on en retire peut n'être véritablement compris que plus tard, et surtout parce qu'il s'agit d'un esprit, d'une attitude mentale, bien davantage que d'une gestuelle particulière. Je crois avoir retenu d'elle, essentiellement, une musicalité dont peu de gens se souciaient en France à cette époque, et une liberté mentale qui seule permet une liberté corporelle infinie _ les Français recherchent un style plus qu'une telle ouverture. Je dirais encore qu'avec Viola les choses sont toujours en mouvement, jamais fixées, qu'il y a une prise de risque sur le mouvement physique et que sa danse est très large, très ample... _ Viola Farber : _ Il faut préciser que cette liberté ne peut advenir que s'il y a, à la base, un énorme travail technique, certains l'oublient trop souvent. Ce qui m'intéresse, dans l'enseignement, est que chaque danseur développe ses propres capacités, sans indulgence : le professeur peut seulement commencer à le guider dans cette voie, il doit ensuite disparaître. _ Mathilde Monnier : _ Il y avait aussi une rigueur étonnante dans les classes de Viola, et il régnait un grand respect dans la compagnie : c'était un véritable rapport d'apprentissage, nous avions envie de conquérir cette chose qui était devant nous, et pas seulement de faire des spectacles. Aujourd'hui, il me semble que le travail est plus collectif. Cette soirée avec Viola est une idée que j'avais dans la tête depuis très longtemps, la proposition d'Avignon m'a paru une occasion idéale pour la concrétiser. Nous nous sommes écrit et téléphoné entre New-York et Paris pour commencer à cerner le projet, nous ne nous sommes rencontrées que début juillet. Ce spectacle est fait avec des bribes de mémoire _ j'ai refusé de voir des vidéos pour retrouver le répertoire d'Angers _ et surtout des morceaux inédits, dont une part d'improvisation. _ Viola Farber : _ Il n'est pas précisé dans le programme ce qui, dans ces chorégraphies, revient à Mathilde et ce qui me revient : cela n'a pas d'importance... _ Mathilde Monnier : _ A ce spectacle participent Anne Koren et Joël Luecht, qui ont travaillé l'une treize ans et l'autre six ans avec Viola. Il y aura des clins d'oeil, des invités qui passent. La musique est composée et interprétée en direct par Louis Sclavis et Henri Texier... "

Sylvie DE NUSSAC
Le Monde
30 Juillet 1992