Arrivée en 1994, elle est au cour du débat esthétique, dans un vertige d'équilibre maîtrisé o Mon Dieu, comme elle paraissait frêle ! Et le profil aigu plutôt qu'arrondi, qui ne mettait pas forcément à l'aise. La rumeur en fit même une adepte des préceptes macrobiotiques (ce qui la fait éclater de rire, quand elle l'apprend aujourd'hui). C'était Mathilde Monnier. Alors âgée de 34 ans, dans la bise de l'hiver 94, elle arrivait à Montpellier, prenant la direction du Centre chorégraphique. Lequel était encore logé dans ses misérables locaux des sous-pentes de l'Opéra-Comédie, si "national" fût-il. Avec sa légèreté de plume, son sourire presque timide, l'impétrante était confrontée à une impressionnante mission. Sur le plan humain d'abord : désignée pour succéder à l'immense Dominique Bagouet - contre l'avis de pas mal de proches de celui-ci - dont l'empreinte en ville était aussi profonde que toujours vives les plaies ouvertes par les passions entourant sa disparition. Sur le plan institutionnel ensuite : chargée d'assurer l'implantation du Centre chorégraphique dans ses locaux des Ursulines, qui en font l'outil le plus ambitieux dont dispose la danse contemporaine à ce jour en France. o L'ouverture de ce centre courant 1997, a fait prendre la mesure du chemin parcouru, et permis de conclure : Mathilde Monnier a épousé Montpellier. Et réciproquement. Cela par une séduction qui ne doit rien aux foucades, encore moins aux futilités ; tout en faisant l'économie des tapages et des fastes. Pourtant, de l'extérieur, le bâtiment tient toujours du couvent, de la prison, de la caserne, qu'il fut dans l'Histoire. Alors il faut en pousser la porte : "Ma compagnie est toute jeune et petite. Elle ne pèse rien. Mais dans mes contacts avec Mathilde Monnier, je n'ai jamais éprouvé la moindre sensation d'infériorité" remarque un chorégraphe montpelliérain. "Mieux, c'est sa façon de nous proposer de bénéficier des locaux du Centre, qui nous a fait nous remuer, et nous organiser dans un collectif". Nombreux sont les témoins concernés de cette sorte (les enseignants en danse, aussi), à estimer que la directrice a amené en ville un vent nouveau de l'ouverture, à la hauteur des moyens nouveaux de l'équipement. "Elle est arrivée sur la pointe des pieds, sans se faire remarquer. En fait, elle a pris le temps de tisser une toile fine et solide, qu'on perçoit maintenant en profondeur" estime une observatrice qualifiée. Non sans établir un rapport avec son art : "Quand on va voir un de ses spectacles, tout n'est pas réglé une fois qu'on a payé la place. Et pas plus une fois qu'on a fini d'applaudir. C'est plus profond. Ce qu'elle amène laisse des traces, je ne cesse d'en parler, mon point de vue évolue ; et tout reste vivant, et me nourrit longtemps après". Avant tout évidemment, c'est bien sur le plateau qu'on l'attendait. Là, on vit une compagnie d'extrême densité des physiques surprenants, des nationalités en pagaille, et des tempéraments farouchement chevillés. "Je ne peux pas créer dans un rapport de manipulation, de pouvoir ; et surtout pas de pédagogie. Mes danseurs sont totalement responsables de leurs vies, leurs choix, et donc de leur art. Ce que je cherche, c'est à impulser un courant d'artistes ; pas à cultiver un style d'auteur". Coup sur coup, ses pièces montpelliéraines apparurent sombres, sérieuses, douloureuses. Parfois nourries de la relation avec des malades ; en psychiatrie particulièrement. Rien pour la distraction, ni la joliesse. "J'ai effectué un cycle dans lequel l'art n'était pas extérieur à la vie, mis de côté à l'abri ; tout au contraire". Un principe est clair : "En tant qu'artiste je dois suivre mon chemin, approfondir les questions". Cela, quels que soient les controverses, ou le rejet par certains : "Avec ma première pièce, j'ai eu la chance de débuter sur un grand succès public. Ça m'a désinhibée. À présent je trouve bien qu'il y ait du public pour, du public contre ; et une fois pour, et l'autre fois contre. Un public engagé, impliqué". Mais ça n'est pas un système, elle s'en défend : "Aussi bien, je pourrai en venir à une pièce douce et poétique". Pour tout dire, dans la toute dernière, la confidentielle "Qui voyez-vous ?", on l'a même trouvée... drôle. Enfin on a pu la revoir danser elle-même : un équilibre vertigineux au bord de la chute, au bord de l'extrême ; et pourtant tendue d'un élégant aplomb. Sûre dans les plus dingues prises de risque.
Gérard MAYEN
Midi Libre
8 Janvier 1998