La meilleure façon de marcher
Présentée dans le cadre du Festival d'Automne au Théâtre de Gennevilliers, la prochaine création de Mathilde Monnier, Déroutes, s'inspire de Lenz, une nouvelle de Georg Büchner. Lenz marche, dévale les montagnes, parcourt plaines et forêts, cherchant "l'ivresse infinie d'être touché par l'essence même de toute forme de vie" alors que "la démence et ses coursiers lui donnaient la chasse". Attentive aux comportements et lieux singuliers, Mathilde Monnier découvre dans le voyage de Lenz "un paysage spectacle" construit par "le corps vivant du marcheur et le paysage dans lequel il s'inscrit". Elle imagine un plateau profond comme un long couloir, mais ouvert, où "l'intérieur et l'extérieur entrent en dialogue", un espace en perpétuel mouvement. Avec treize danseurs, elle y chorégraphie des marches liées à la pensée : "si l'on observe un corps qui marche, on peut s'apercevoir des phnomènes subtils qui menacent son équilibre. Ce sont de petites choses qui agissent de façon insidieuse, sur le mental par exemple. Une sorte d'aggravation de l'état des corps se produit". A partir d'un travail avec chaque interrète en particulier, elle s'attache aux états de corps, aux matières. Notant que "le temps du paysage est un temps contemplatif", elle le traite de façon à donner "un temps de décélération du regard et des perceptions, en rupture avec les temps coupés, saccadés, accélérés du monde". A une époque où la multiplication des outils technologiques grignote "les plages de temps vacant" qui échappent à la production, comme remarque Rebecca Solnit dans l'Art de marcher (Actes Sud), peut-être est-il sain de revenir à l'idée vieille comme Aristote le péripatéticien qui relie la pensée à la marche.
Bernadette BONIS
Danser - Décembre 2002