Dans le cadre de " Chantiers " proposés par la Ménagerie de Verre, Mathilde Monnier et Jean-François Duroure ont présenté un duo, créé il y a moins d'un an à New York. " Nous étions à New York depuis quelques mois grâce à une bourse du Ministère des Affaires Etrangères. Nous nous sommes retrouvés dans une situation nouvelle, celle de prendre des cours, de ne plus travailler en compagnie sur une pièce, et voir le maximum du travail des chorégraphes américains. Nous avons senti très fort le besoin de faire une pièce qui serait la marque de ce que nous sommes et d'où nous venons, une pièce en réaction à la situation actuelle aux Etats-Unis " (MM). Encore une fois réunis dans un lieu public ; des visages connus, des regards à l'affût de quelques traces de plaisir. La danse nous laisse encore parfois quelques fulgurances qui valent que l'on reprenne le chemin de l'écriture. Duo deux - deux corps. L'espace, ici vierge, du studio dans une lumière raide et cassante qui n'embellit rien. La porte dérobée coupe brusquement le silence, c'est comme s'ils entraient dans un lieu pour régler en public leurs comptes, drôle de pressentiment et derrière leurs regards butés, un état de concentration extrême, des vêtements asexués pour une histoire - non je ne dirai pas d'amour, je dirai une histoire, tout simplement. J'aime que la danse, la photographie me racontent des histoires, témoignent de ceux qui la font ; leur histoire commence et s'épuise sur le mode présent-absent. Une folle impudeur à montrer ensemble des états dans lesquels ils passent. " La musique de Kurt Weill m'est apparue comme une évidence, elle a été la trame de la pièce, nous voulions travailler sur l'idée de la voix et de la musique. C'est aussi l'aspect comique et grave de la musique de Kurt Weill qui nous intéresse. Nous avons réfléchi tout de suite sur les costumes que je vois plus comme des objets de la pièce. Nous voulions des costumes qui marquent le caractère asexué mais parlent aussi du masculin et du féminin, chaque partie du costume est pensée comme nécessaire au duo. L'utilisation du kilt contrebalance la musique allemande : c'est une danse européenne. Nous voulions mettre en scène les éléments de la dualité : jeux, jalousies, bagarre, amour. mais tous ces moments sur scène doivent être un état particulier avec la même concentration, trouver la raison même de chaque mouvement par rapport à l'autre et à soi-même, tout est déterminé par rapport à cet état. C'est un travail sur la concentration et sur la présence de deux personnes face à face, le duo. Alors, vient la danse. Nous avons travaillé avec un grand souci de la mise en scène, de la représentation, une distanciation constante de ce que nous mettons en jeu, de nous, de notre histoire " (MM). Alors s'alternent ici dans un rythme hypercomposé : drôlerie, rapidité de l'étreinte, brisure du départ, chaos de l'absence, éclats du passé, chairs rapprochées, comme s'ils disaient de la dérision du temps passé ensemble où les corps - à corps renvoient à la solitude éternelle.
Geneviève VINCENT
Pour la danse
Janvier 1985