La venue de la chorégraphe-danseuse Mathilde Monnier n'est jamais un événement anodin. Les ouvres - toujours fortes - qu'elle propose depuis la fin des années 80 (qu'on se souvienne de sa Face nord) n'ont pas pour objectif que de séduire, mais aussi d'interpeller, voire déranger. Le confort de la représentation qu'on peut se faire de la danse, par exemple. Il a en été ainsi au Pôle Sud strasbourgeois avec Allitérations. Perplexité du public. Appelons cela une expérience. Mathilde Monnier, elle, préfère évoquer une proposition sur "la fragilité de la frontière des sens entre le texte, les sons et le mouvement". Sur scène quatre intervenants (guère facile de les appeler autrement) : deux danseurs, Dimitri Chamblas et Mathilde elle-même, un "bruiteur", eRikm, qui travaille sur le son un peu à la manière d'un Pierre Schaeffer ou d'un Pierre Henry, pionniers du traitement éléctro-acoustique de la matière sonore à partir de 1950, et un "causeur", Jean-Luc Nancy, dont le champ d'action est la philosophie et qui a, entre autres, signés un livre consacré à la danse dont il lit et dit des extraits en scène. Trois formes d'expressions se font ainsi écho sur le plateau sans être, de manière évidente, sur la même longueur d'onde. Le son surtout, paraît avoir une existence très indépendante du reste. L'intervention de Jean-Luc Nancy a d'indéniables correspondances avec la danse, mais, cela est flagrant, elle a sa parfaite place dans un amphi d'université ou dans le cadre d'une conférence. Là, sur une scène où, en principe, se déroule un spectacle de danse, l'effet est quelque peu incongru. Pourquoi ? Parce que le discours, parfois par trop péremptoire, passe, plus qu'à son tour, à des années-lumière au-dessus de la tête du public venu avant tout pour la danse. Un public pas obligatoirement versé dans les arcanes du propos philosophique, sans être pour autant fondamentalement ignare ou idiot ( bonjour la "balistique stochastique" !). S'y ajoute un goût pour la formule jolie, mais facile: "naissance de la danse, danse de la naissance",... Alors on s'ennuie quelque peu, ou alors on sourit et même, on a du mal par instants de retenir un franc rire. Dommage aussi que Jean-Luc Nancy ne se détache pas d'un style professoral. De la conviction pour défendre un texte n'aurait pas fait tache dans le tableau. La danse, elle, laisse également perplexe. Il y a là du mouvement à l'état brut (référence à la naissance de la danse ?). Entre chutes et piétinements dans de sortes de "caissons" munis de bandes élastiques (le corps les distend parfois, à la manière d'un Nikolaïs), une gestuelle réellement élaborée a été vouée à la portion congrue. Avec, cependant, des fulgurances corporelles soudaines qui rappellent utilement que Mathilde Monnier reste l'une des personnalités les plus originales du paysage chorégraphique français. Et l'une des plus courageuses dans sa volonté de sortir des chemins banalisés pour explorer des territoires encore en friche. En cela sa venue à Pôle Sud allait de soi. Joëlle Smadja et les siens ne transigent jamais sur la volonté d'ouverture à tout parcours exigeant et nouveau. Que cela emporte l'adhésion ou non. Igor
Hebdoscope
Parution du 5 au 11 Février 2003