"Nous sommes des artisans de la vie en commun." nous déclare Mathilde Monnier, directrice du centre chorégraphique national de Montpellier "Il faut démocratiser la culture"... Catherine Trautmann annonçait le 26 février dernier (cf Lettre d'information n°26), des mesures en faveur de la sensibilisation, de l'éducation et de la médiation culturelles. Elle citait aussi quatre expériences concrètes. Quatre expériences "sur le terrain". Quatre expériences exemplaires. La Lettre d'information est allée à Angers, à Melun-Sénart, à Vassivière ou à Montpellier pour en rencontrer les responsables. Pour mieux comprendre leur cheminement, et découvrir les publics qu'ils touchent : malades du sida, personnes en cours d'alphabétisation, etc. Nous commençons cette série par une visite à Mathilde Monnier... Comment avez-vous introduit des actions de sensibilisation dans votre travail à la tête du Centre chorégraphique de Montpellier ? A vrai dire, quand je suis arrivée en 1994, j'avais déjà un projet de sensibilisation, que j'ai aussitôt développé autour de plusieurs axes, certains pour une durée d'un an, d'autres sur trois ou quatre ans. Le premier axe a consisté à travailler en direction des associations. Elles ont une place essentielle dans l'histoire de la médecine à Montpellier, lié à son université, si importante. Parlez-nous de ces associations... Au Centre chorégraphique, un travail était déjà effectué en direction des malades du sida. A partir de là, s'est fondée l'association "via voltaire" avec des médecins, des juristes, des psychologues... Cette association travaille maintenant en direction des malades et des personnes marginalisées par la maladie et le chômage. L'aide que nous apportons dans ce cadre est artistique, mais aussi éthique - des ateliers de pratique artistique fonctionnent toute l'année. Je veux vraiment réaliser un travail d'équipe : de cette façon, on peut apporter certaines réponses, et n'être pas seulement les pompiers qui viennent éteindre le feu !... Puis il y a eu l'association "Les murs d'Aurelle", qui travaillait dans l'hôpital psychiatrique La Colombière, en organisant pour les malades des ateliers de pratique artistique avec des psychotiques. Il y avait du théâtre, de la photo, de l'écriture, mais pas de la danse. Là, j'ai donc utilisé le biais de l'institution pour développer mon travail. Un travail qui va donc très loin. Rejoint-il celui des thérapeutes ? Mon travail n'est pas celui d'un thérapeute. Je parle comme artiste. Mais la rencontre des deux permet d'avancer. Ce que je propose, ce sont des ateliers de remobilisation, l'accès à un confort, une meilleure perception de son corps, de l'espace. À la base, il s'agit de former le personnel hospitalier sur le geste, le mouvement. Nous nous y employons, pas seulement à Montpellier, mais aussi au cours d'actions et de sessions. Pour autant, je n'entends pas me spécialiser. J'essaie au contraire d'ouvrir le milieu artistique et les danseurs dans ces directions. Avez-vous développé d'autres axes, outre ce travail sur l'exclusion et ces ateliers en milieu psychiatrique ? Oui, par exemple le projet "Première's pierres", à l'ouverture des Ursulines. Ce lieu nous est dévolu ; chacun des 19 centre chorégraphiques nationaux se trouve peu à peu doté d'un lieu propre - généralement un lieu patrimonial superbe ! - qui lui permet de travailler et, justement, d'asseoir son travail de sensibilisation et d'accueil du public. "Première's pierres" a été un travail sur le quartier, un quartier populaire du centre du vieux Montpellier - un travail en partenariat avec plusieurs structures montpelliéraines : utiliser les travaux d'aménagement du studio des Ursulines pour sensibiliser le public. Chaque mois, durant une année, paraissait dans le Midi Libre un portrait d'un habitant du quartier, avec une photo et un article signé d'une anthropologue urbaine Anna Zisman. Il y a eu comme ça un ouvrier du chantier, le boulanger, le facteur, un voisin, une famille toute entière... On a affiché des photos du chantier chez les commerçants, organisé une exposition avec notamment les photos de tous ceux qui avaient travaillé sur le chantier, on a lancé des invitations... À propos, sur la pédagogie, le Centre chorégraphique organise un cours professionnel chaque matin qui accueille 30 à 40 personnes chaque jour, pour un tarif très très bas : 35 frs le cours. De grands professeurs internationaux viennent des Etats-Unis ou d'Allemagne, tels Louise Burns, Trisha Brown ou Viola Farber, auprès de chorégraphes de Montpellier, Hélène Cathala, Rita Cioffi. Au-delà de ces exemples, comment définissez-vous votre approche des publics ? Nous allons au devant des publics en allant sur le terrain. Il faut bien comprendre que nous ne sommes pas un lieu de diffusion. Nous sommes associés à la programmation danse à Montpellier avec le festival Montpellier danse, l'opéra, le théâtre Jean Vilar et le théâtre du Chai. Nous, nous voulons travailler avec les gens, les rencontrer. Pas les attendre. Eviter l'attentisme ! Nous avons encore un autre projet en cours, avec l'association "Art-en-thèse", sur un quartier, le Petit bard. Nous avons imaginé un projet intitulé "habiter" autour de la question de l'espace et du territoire. Ce projet est formulé par l'association d'une chorégraphe, d'un architecte, d'une scénographe et d'une plasticienne. C'est un superbe projet, celui d'une expo-spectacle, de la construction d'un espace, comme une "expohabitée" ! Il implique des femmes, de 20 à 40 ans, en cours d'alphabétisation, et un groupe d'une vingtaine de garçons, de 16 à 22 ans ; ils sont en milieu scolaire ou en pré-emploi. C'est un animateur, lui-même un jeune des quartiers, qui fait le lien entre tous les participants du Petit bard. Ce projet-là représente un travail d'un an minimum et devrait aboutir à une réalisation en février 1999. Aller vers les publics semble signifier pour vous agir sur les comportements ? Non, je suis persuadée que ça fait partie de l'artistique. C'est une mission que je me suis donnée. Bien sûr, on ne le fait pas dans le but de changer le monde, mais dans un but de rencontre. Les Ursulines sont un lieu qui n'a de raison d'être que s'il est fédérateur de plusieurs publics, que s'il est traversé par des publics différents. Vous donnez à partager autant qu'à voir ? Vous savez, il y a des choses souterraines. On est pudiques, on ne médiatise pas du tout. Alors forcément, ça a un impact bien précis sur la perception qu'a le public de notre existence ici. D'ailleurs, je préfère le mot "partenaires" à celui de public. L'artiste n'est pas coupé du monde, mais en relation avec des problématiques d'aujourd'hui. Et même si on n'apporte pas forcément des réponses, même si on est souvent obligé de se retirer pour nourrir notre création, notre inspiration, on reste des artisans de la vie en commun...
La lettre d'information - Ministère de la culture et de la communication
1er Avril 1998