La création 96 du Centre chorégraphique national de Montpellier Magistralement, Mathilde Monnier brise le ronron satisfait de la danse Le public du " Quartz " à Brest _ vient de découvrir " L'atelier en pièces ", création 96 du Centre Chorégraphique national de Montpellier, qui se fera du 21 au 25 mai au gymnase olympie d'antigone. " On [s'y] retrouve confronté à la rupture des conventions et des habitudes ; on a en face de soi un objet violent non identifiable, qui fouille, perturbe les sens, travaille le corps et l'âme " a écrit Jean-luc Germain dans " Le télégramme de Brest ", au lendemain des représentations. C'est dire comme cette nouvelle ouvre possède un pouvoir exceptionnel de pénétration, d'ébranlement et de remise en cause, sur la personnalité du spectateur. Rien à voir avec les produits standards que débite dorénavant sans surprise la machine institutionnelle bien huilée de la danse française. EN GRANDE DIFFICULTE " l'atelier en pièces " se déroule dans un espace clos (dispositif conçu par Annie Tolleter), réinstallé invariant à chaque endroit où le spectateur est programmé : une grande pièce rectangulaire, blanche, aux fines parois, baignée de lumière ; clinique. Les spectateurs sont assis sur les bords. Et dans leur dos un couloir en effectue le tour (des sensations proviennent de là aussi). Les danseurs entrent et sortent de l'espace scénique par de multiples ouvertures. On est dans une proximité immédiate, tout le monde se voit dans la lumière ; le regard est capté de tous côtés, libre de se porter d'une situation à une autre, perturbé dans un au-delà du rapport scène-salle. On ne verrait là qu'exercice formel, néo-avant-gardiste, si toute la pièce n'assumait l'affolement de l'acte artistique. Mathilde Monnier a conduit ses danseurs à explorer une gestuelle du trouble au plus profond de soi, du doute sur le sens et l'absurde. Cela au contact de personnes en grande difficulté psychique, fréquentant des ateliers de danse : " détour au côté de ceux qui ne parlent pas, ceux qui se sont apparemment retirés du monde extérieur. Suivre à la trace le long de leur espace chamboulé, les parcours qu'ils répètent inlassablement, refaire leurs gestes, s'approprier les places qu'ils occupent. Explorer ce non sens des gestes, ces non gestes qui apparaissent parfois de l'ordre de la simplicité d'un mouvement dansé. Pour que nous, qui travaillons sans cesse à la maîtrise de notre corps, puissions nous approcher de ceux dont le corps nous semble vide, évidé à absurde, il nous faut revenir en arrière, marcher à reculons, refaire de chemin à l'inverse. Quand le langage fait défaut, comment et quand le corps parle-t-il ? " écrit la chorégraphe. IMPOSSIBLE PROCHE C'est une pensée extrême. La danse ne l'est pas moins, dans des gestes inouïs, entre vide et matières, avec des jeux, des expériences et des manies ; des mouvements de répétition, et d'autres de convulsion. Les interprètes sont au comble de la tension, entre présence au plateau, et absence dans la profondeur de soi. Paradoxe : il y aurait des enfermements qui favoriseraient de grandes libertés. Dingue. Dans ce chaos ordonné, artistes et public sont transpercés des compositions sonores de l'américain David Moss, " virtuose du bruit ", au comble des distorsions du langage. Un jeune autiste est à l'ouvre parmi les danseurs, ne mettant pas moins d'ardeur dans la réussite de la présentation : il y a beaucoup de générosité dans l'écoute de l'impossible proche, qui anime " L'atelier en pièces ". posée sur une scène, on aurait eu de la folie donnée en spectacle ; inacceptable. Ici c'est une expérience de la faille qui sollicite chacun, avec ses troubles fascinations, ses douteux arrangements. Dangereuse, l'entreprise aurait pu n'être qu'agitation et provocation tapageuse et insensées. Conduite par Mathilde Monnier, elle est audace, intelligence et obstination. La recherche n'interdit pas la classe.

Gérard MAYEN
Midi Libre
6 Avril 1996