La compagnie Mathilde Monnier et De Louis quartet, dans la grande réussite d'une création commune. " Face Nord " : un spectacle de merveilleux, chargé de rêve, de bonheur, de violence, dans la libre rencontre de la danse et du jazz : Louis Sclavis et son quartet, Mathilde Monnier et sa compagnie, ont réuni toute leur force et invention. Dès le début, sur la scène où jaillissent des roseaux, les danseurs s'élancent, se poursuivent, bras qui se lèvent, s'étendent, retournements brusques, essors vifs, légers, étreintes vives. Un climat de rêve, de conte. Et la musique : d'abord des sons, des accords, rythmes de jazz qui s'élèvent, mais un jazz qui se dépasse, imagine en harmonies neuves, musique de vie. Surtout l'ensemble de ce spectacle, musique et danse se rencontrent, dans leur maîtrise réciproque, un développement instrumental ouvre la voie à une figure chorégraphique, qui à son tour appelle les sonorités. C'est comme une orchestration commune de corps, de gestes, le déclenchement concentré des actions. Une orchestration dans la perfection des deux groupes. De Louis Sclavis quartet joue un jazz ouvert, libre, expressif de chaque période du spectacle. Des légers appels à la clarinette, auxquels succèdent les longues notes métalliques, vives, l'ampleur du saxo, les graves résonances de la contrebasse, les percussions, les claviers, c'est une invention constante : la rencontre d'une science musicale parfaite et du sens de l'invention. De même la danse, toute en liberté, est pleine d'humour, de citations placées de façon plaisantes, d'autres ballets de Mathilde Monnier. Un va et vient des danseurs, une fougue, des élans de groupe, des solos qui s'opposent, un joyeux tournoiement surmonté de cerfs-volants. Et puis, surtout dans la deuxième partie du spectacle, des phases graves, fortes : les couples qui s'étreignent, s'arrachent, se brisent, déclenchent dans le quartet une montée sonore dans la plus riche tradition du jazz, un moment splendide. Et, de nouveau, l'humour, un mini quartet qui se place au premier plan vient rythmer doucement un des moments ludiques du ballet. De même le jeu du musicien et de la danseuse, un sourire dans l'ensemble. mais surtout ce qui fait la perfection de ce spectacle, c'est que chacun dans la maîtrise totale de sa composition, de son invention est en harmonie, y compris dans les contrastes, avec la maîtrise et l'invention de l'autre. La prestation de Sclavis et de ses musiciens - F. Raulin, Charles Ville, Bruno Chevillon - est un grand moment de leur travail, une création solide, sensible, pleine de trouvailles et d'une grande perfection technique. De même, la chorégraphie de Mathilde Monnier porte toutes les qualités émanant de sa sensibilité et de ses conceptions artistiques : une netteté, une précision dans les imaginations les plus inattendues, une grande science de composition. Et, ensemble, ils ont fait triompher cet esprit de liberté, cette association de deux arts en dépassant la simple rencontre, mais en réalisant une véritable création commune par des artistes de valeur.
Louise BARON
La Marseillaise
11 Juillet 1991