Au dernier festival Montpellier Danse, Mathilde Monnier s'abstenait de présenter une création, "sa nouvelle pièce" comme il est convenu de le dire. Elle préféra mettre le public en rapport direct avec les jeunes en formation au centre chorégraphique national qu'elle dirige à Montpellier. Au studio Bagouet, fenêtres ouvertes sur rue, on assista pour 5 euros à Multi-materials, une sorte d'essai de fin d'études interprété par une quinzaine de stagiaires. Marches et courses, on en garda le souvenir d'un débordement joyeux. Avec cette fois une vraie nouvelle pièce, présentée à Gennevilliers dans le cadre du Festival d'automne en collaboration avec le Théâtre de la Ville, la chorégraphe trouve un contexte plus chic pour développer une autre démarche. Elle-même d'origine alsacienne, elle s'est lancée sur les traces des longues marches dans les paysages d'Alsace de Lenz, poète du roman inachevé de Georg Büchner. "Moi divisé". Dans Déroutes, il ne reste rien des mots du poète mais un sous-texte qui rend hommage aux grands romantiques. Il est question de circulation, de passage, d'obstacles. La scène est conçue comme un double plateau, terrain de jeu collectif où se croisent treize marcheurs, la marche étant ici une activité solitaire. Mathilde Monnier a passé deux mois à régler ces partitions individuelles, en tête à tête avec chacun des interprètes, danseurs de l'ancienne compagnie dissoute, anciens stagiaires et nouveaux, danseurs ou non. La troupe de danse se présente ici comme un "moi divisé", aucun événement n'a plus d'importance qu'un autre. La scène est gelée : un danseur joue même au curling avec des blocs de glace. Mais pour chacun, il faut aller, marcher et marcher encore. Comme un parcours du combattant, le dispositif scénique d'Annie Tolleter est fait d'obstacles sonorisés. Les danseurs s'y cognent sans même y prêter attention, pris dans leur propre logique délirante, sans début ni fin. Celui en bleu déambule, il est d'une extrême lenteur, l'autre s'arrête pour tester son équilibre, l'autre encore qui ne cesse de changer de costume va en casse-cou avant de poser comme un roi déchu, deux autres encore se font piéger dans une cage de water-polo alors qu'un paresseux écrase sous son matelas dans un coin de l'avant-scène. Salle éclairée. La seule chose qui les réunisse est la musique en direct d'eRIKM, leur offrant un paysage sonore. Et la circulation des costumes qui habillent l'un puis l'autre. Rien ici n'est en place, pas même le spectateur qui régulièrement est inondé de lumière quand la salle s'éclaire. Le spectacle ressemble à une mise à plat, lui-même parfois très plat. Comment traverser, ouvrir, interroge encore la chorégraphe ? Comment passer un portique du décor trop étroit qui retient les corps ? Alors, on reste là, à prendre le temps de regarder des gens marcher, des danseurs ou non, des techniciens, en rêvant de partir comme Lenz dans la montagne l

Marie-Christine VERNAY
Libération
16 Décembre 2002