Pour le dernier spectacle lundi, optimisme et combativité. "Là, j'ai envie de crier, mais bon, j'ai peur de ne pas être entendu." Tels sont les ultimes mots d'Arrêtez, arrêtons, arrête, un spectacle de Mathilde Monnier, le dernier présenté avant la dissolution de l'association TNDI de Châteauvallon. Les 600 personnes, qui ont rempli le théâtre couvert lundi soir, sont debout pour applaudir le travail, mais aussi pour témoigner de leur attachement à la structure. Même les officiels se lèvent : le nouveau Préfet du Var, Robert Beneventi, le premier adjoint de la ville d'Ollioules, Dominique Wallon, directeur du théâtre et des spectacles vivants, Didier Deschamps de la délégation de la danse et la Drac (Direction Régionale des Affaires Culturelles) de la région Paca. Mathilde Monnier plonge dans la salle pour ramener sur scène Gérard Paquet, le directeur licencié et l'équipe (quinze permanents) que deux années de lutte ont profondément soudée. "Repartir". De l'émotion, mais pas l'ombre d'une tristesse. Tous croient en l'engagement du ministère à la rapide constitution de l'association relais, à la dissolution prochaine du syndicat intercommunal. L'élection de Michel Vauzelle (PS) à la tête de la région Paca alimente cet optimisme. "On n'a qu'une hâte, dit Nicole Jarrié, administratrice depuis 25 ans dans la maison, c'est de repartir. Aujourd'hui, je vois défiler tous les dossiers que j'ai vus passer pendant toutes ces années." À l'accueil-billetterie, Simone Komatis, veuve d'Henri Komatis, cocréateur du lieu avec Gérard Paquet, se projette aussi dans l'avenir : "Ce théâtre, où se rejoignent la mer et la montagne, explique-t-elle devant une maquette conçue par son mari, à la force de la pierre. Le lieu a une capacité de résistance, il se défendra par lui-même." Il aura effectivement besoin de toute son énergie car il risque d'être inoccupé pendant un an. L'inverse d'une structure barricadée, ce théâtre ouvert sur la nature avec ses baies vitrées, est une proie facile. On s'interroge sur le lieu relais. Simone Komatis ne serait pas contre l'installation d'un chapiteau sur le parking. Mais cela pose des problèmes de sécurité à cause de la pinède. Pour Carole Rambaud, programmatrice, une année hors les murs peut être bénéfique, car elle permettra de "repenser le public, de constituer un réseau avec d'autres lieux et associations, notamment sous la forme de coproductions, mais il faut trouver un endroit identitaire fort et à ce jour aucune ville ne nous a sollicités". Catastrophe pour les danseurs. En attendant le déménagement, après liquidation et plan social, tous se retrouvent au restaurant pour un dernier rhum. Les danseurs de la région sont venus en force. "Pour nous, dit William Petit, c'est une catastrophe. Aucune structure ne possède des studios dans lesquels il est possible de travailler". Assez bouleversé, il parle de la violence de la ville : "Les bars homosexuels ferment, il y a des descentes de police permanentes, ça forme un tout avec la fermeture de Châteauvallon". Les danseurs de hip hop du groupe Progress parlent eux aussi de cette répression-suppression : "Nous sommes constamment confrontés à des contrôles de papier, à la violence policière, même le travail des acteurs sociaux dans les quartiers est entravé. Mais on continuera à danser. Depuis que Châteauvallon nous a accueillis et formés avec le groupe Aktuel Force, nous nous sommes multipliés. Ils arborent les T-shirts de l'association Culture en danger. Eux aussi sont choqués, révoltés : Oui, comme le dit Gérard, c'est émouvant. Le fidèle Emile, qui déchire les billets de la même façon depuis l'ouverture du lieu, écoute l'allocution de Chirac, casque sur les oreilles. Guitou, machiniste, qui aida à poser les premières pierres, n'a pas envie de s'arrêter non plus : Le rideau va peut-être tomber, mais avec une moufle et une guinde, hop, il se relève, et le spectacle, il sera bon derrière. Philippe, directeur technique, affiche la même combativité : On a été sali, roulé dans la boue. On a peut-être perdu cette bataille, mais cela nous a aguerris, soudés. Sous l'arbre Yano (un arbre planté par Suzanne Buirge, lors du décès de ce chorégraphe japonais), Marc Vincent, également chorégraphe, poursuit sa réflexion : Ce n'est pas un hasard si le lieu ferme sur de la danse contemporaine. Les fascistes se sont toujours attaqués au corps pour annihiler la pensée. Karl Biscuit, de la compagnie Castafiore, qui voit sa résidence suspendue par la fermeture, parle lui de perversité du FN. Ils usent la démocratie en utilisant, détournant ses lois. En réponse à Mathilde Monnier, un nouveau slogan est né lundi soir : Continuons, continuez, continue. Avant de quitter la scène, Gérard Paquet lançait au public : À bientôt.

Marie-Christine VERNAY
Libération
25 Mars 1998