Mathilde Monnier, dans Face nord, nous dit que la vie est comme une montagne qu'il ne faut pas craindre de conquérir par sa pente la plus difficile. La victoire est à ce prix. Une chorégraphie qui rend hommage à André Gide : la morale est aujourd'hui une préoccupation majeure des jeunes créateurs. Pas de montagne sur scène, mais une jungle de roseaux dont les huit danseurs vont devoir se dépêtrer et danser s'ils le peuvent. Quelques-uns prennent les végétaux de plein fouet, d'autres les écartent, certains s'en servent comme d'un bâton pour frayer leur chemin. Comme dans la vie : contourner l'obstacle est intelligent, l'affronter fait souvent gagner du temps, à condition de choisir son moment. Face nord est une histoire de tempo. En avoir ou pas. Quand le rythme est là, le corps glisse dans les roseaux comme dans la musique du quartet de Louis Sclavis. Quand le corps s'affole, les roseaux le battent et la musique s'empare de lui jusqu'à le briser. Mathilde Monnier nourrit peu d'illusions sur la voie étroite qui conduit à l'harmonie. Ses corps, le plus souvent, sont empêtrés, grotesques et grimaçants. Elle sait le goût de l'homme pour les détours inutiles. Son refus de se regarder en face. Exigeante envers son art, la chorégraphe ne ressemble à personne, même si, ici, sa manière de construire et de défaire l'espace avec les roseaux rappelle l'utilisation des chaises du Café Müller, de Pina Bausch. Masques d'oiseaux, socques de geisha, cerfs-volants lumineux, hommes-échasses : la dramaturgie très japonisante n'est pas loin de certaines scènes nocturnes du cinéaste Mizoguchi. Cette fantaisie poétique, ce mystère à dévoiler atténue le tragique de la danse. Arrivé au tiers de sa programmation, on constate, non sans plaisir, que le Festival de Châteauvallon a changé. Il a cessé d'être cette enclave de rêve réservée peu ou prou aux professionnels. On a été frappé, cette année par l'attention du public. Gérard Paquet et son équipe, Geneviève Vincent et Daniel Bergamaschi, ont décidé de l'ouvrir sur la ville de Toulon et sa région, jusqu'alors assez peu concernées, en développant des activités annuelles autour de la danse : colloques, expositions, chorégraphes en résidence collaborant avec des plasticiens et des cinéastes.
Dominique FRETARD
Le Monde
12 Juillet 1991